Jour 1 : Boucle

    Tu avances sans but, tu erres. Tu ne sais plus où aller. Mais tu y vas. Nulle part ne l’est plus lorsque tu y poses le regard. Tu reconnais ce paysage. Une sensation de déjà-vu te prend. Elle t’entraîne tandis que le temps continue son chemin. Tu restes bloqué. Tu ne fais plus attention à la variable temporelle. Elle est devenue négligeable. Tu te concentres sur le spatial en remontant le chemin des souvenirs. Tu cherches au plus loin. Tu te souviens.

 

    Petit, tu venais ici jouer. Les parents jamais loin. Le bruit de l’eau qui danse. Les vagues qui balancent. Elles s’attaquaient à ton château. Tu étais si jeune. Le rire, ton plus grand atout. Ton sourire qui s’étend. Enfant innocent. L’eau ennemie de l’imaginaire.

 

    Adolescent, tu plongeais dans le ventre de Dame Nature. Tu nageais dans ses bras marins. Porté par le courant. Poissons valsant avec toi. Le calme tout autour. Sensation de repos. Petit dans l’immensité. Adolescent rassuré. L’eau, précieuse alliée.

 

    Adulte, tu dansais sur le sable. Partenaire dans les bras. Les pieds frôlant et jouant avec les vagues. Soudain, petit trou dans le sol. Une chute amortie. Des rires fendant l’air. Un sourire pour séduire devant ce paysage solaire. Le coucher de l’astre sur les flots. Adulte amoureux. L’eau témoin complice.

 

    Avec ta canne, tu avances. Le soleil laissant place à la lune. Ta mémoire vacille. Mais, les vagues se souviennent des rires et des peines. Elles emportent les larmes. Elles rappellent les souvenirs. Ta tête ailleurs, tu souris. Cheveux blancs. L’eau, mer de souvenirs.

 

    Une boucle comme un cycle. La vie avance. Elle tourne et retourne. Comme les vagues sur une plage d’été. S’amusant avec le destin. Le déjà-vu fait son malin.

Jour 31 : Rondelle

    Les bougies étaient allumées sur la table. Le chandelier en son centre bien décoré ferait pâlir de jalousie un certain Lumière des contes pour enfants. Les serviettes d’un blanc éclatant pliées en de petits fantômes tandis que les oranges tendaient à ressembler à des citrouilles. Cela s’accordait bien avec la nappe où les squelettes dansaient la valse sur un fond noir couvert de roses. Tu avais opté pour un simple vase avec une fausse toile d’araignée faisant un pont de l’encolure à la table. Cependant tu n’avais pas mis de ces bestioles. Tu savais que l’invité n’apprécierait pas forcément.

 

    Une fois satisfait de ta présentation, tu t’attaquas à celle des plats. Il ne te restait plus beaucoup de temps avant son arrivée. Tu faisais ton possible pour que tout soit au mieux. Tu avais même appelé en urgence ta grand-mère pour qu’elle te fasse part de ses conseils sur la façon de cuisiner la viande choisie et sur les légumes à choisir pour l’accompagner. En ce qui concerne le dessert, tu avais joué les bons élèves en piochant la recette dans un livre qu’on t’avait offert quelques années plus tôt et après deux tentatives tes petits gâteaux semblaient mangeables.

 

    Toc. Toc.

 

    L’heure sonnait tandis que tu t’empressas d’ouvrir la porte. Chemise noire dans le thème et quelques mèches teintes en blanc dans le style décoiffé habituel. Halloween en élégance pour une personne spéciale qui après une brève salutation te tendit un petit paquet. Tu l’ouvris sans plus de formalité et un sourire t’éclaira. Un nœud papillon, un élément que tu avais oublié et qui ne t’attarda pas à l’enrouler autour de ton cou.

 

    Tu l’abandonnas une seconde pour revenir avec les cocktails. Deux grands verres aux couleurs du jour avec sur le côté une rondelle de carotte découpée et sculptée avec soin, rappelant le sourire édenté du légume dans l’entrée. L’invité rit à la vue de la petite touche. La soirée commençait bien. Tu espérais que cela allait continuer. Des bonbons ou un sort ? La question ne se posait plus. Tu venais de te faire ensorceler.

Jour 30 : Choc

    Tu discutes. À la fois avec l’enfant puis avec l’adulte. Une discussion silencieuse. Un seul regard suffisant à se comprendre et dans les yeux des reflets, tu peux voir les souvenirs qui défilent. Tu as l’impression de devoir faire un choix. Mais la décision n’est pas la tienne. Quelqu’un a déjà trouvé la solution pour toi depuis longtemps et cette personne est le temps.

 

    Certains disent que les dix-huit sont comme un choc, une prise de conscience. Pour toi cela a été les vingt et un balais. Ce moment où tu entres totalement dans la deuxième décennie. Cet âge où tu commences à parler d’expérience. Certes, tu n’as pas vu beaucoup, mais tu peux aider les plus jeunes. Tu oublies doucement le temps des cours de récréation. Mais au fond de toi, tu gardes et tu chéris l’enfant. Un adulte avec une âme d’enfant voilà comme tu te définis si on te demande de le faire. Mais au fond de toi, tu sais que le nombre de bougies sur un gâteau ne représente pas grand-chose. Le plus important est de savoir au fond qui on est et les âges qui défilent ne sont qu’un simple chiffre à poser sur des documents. Certains appartiennent par l’année à une génération, mais par les goûts à une autre. Mais qui sommes-nous pour les mettre dans une case ?

Jour 29 : Double

    Devant le miroir, l’enfant est debout. Il scrute avec attention la surface. Comme s’il cherchait un détail. Comme s’il cherchait une réponse. Il s’observe du haut de ses cheveux en bataille jusqu’au sol où sont posés ses pieds couverts de chaussettes à motifs dépareillés.

 

    Dans son examen de lui-même, une voix vient le déranger. L’adulte parle. L’enfant ne l’écoute pas. Le plus grand se rapproche. Derrière le petit il se tient actuellement. Il se regarde à son tour. La chevelure lui donne l’air de s’être battu contre les éléments avant de venir. Une chemise unie sur un simple jean. Et à l’image de l’enfant, des rayures non assorties couvraient les pieds.

 

    L’enfant relevant les yeux vers le regard au-dessus de lui. Deux émeraudes très légèrement ternis. Quand l’adulte fait de même il découvre alors deux lumières vertes pétillantes d’énergie et de questions. À l’une de ses questions, l’aîné sait répondre. Mais il préféra donner simplement un indice. Il déboutonne alors son col et laisse entrevoir une petite forme animale autour du cou. Le petit détache son regard des deux reflets dans la glace pour observer celui à ses côtés. Il n’a qu’une chemise ouverte sur un T-shirt, de derrière ce dernier il sort un petit pendentif. Identique à celui de l’adulte.

 

    Un temps passé à l’observation.

 

    Puis enfant et adulte tournent la tête vers le miroir. Une seule figure en son centre. Comme une seule personne devant l’objet. Jeune adulte, mi-enfant, mi-adulte.

Jour 28 : Cadeau

    L’enfant semble affolé. Il ne sait pas quoi faire. Il organise l’anniversaire d’un ami, mais avec tous les préparatifs, il en a oublié son cadeau. Le petit tourne et vire dans sa chambre. Il ouvre les tiroirs à la recherche d’idées. Il n’a plus qu’une heure avant le début de la soirée. Il finit par se poser à son bureau, notant sur un papier tout ce qui lui passe par la tête. C’est alors que l’ampoule s’éclaire.

 

    Il court dans la chambre de sa sœur. Il fouille un peu et finit par trouver les papiers de couleurs qu’il cherche. Il descend dans la cuisine et retourne les placards. Il s’attaque alors au garage. Au fond de ce dernier, il trouve son bonheur et demande juste la permission avant de remonter avec son butin. Il ne lui reste pas beaucoup de temps. Il découpe les papiers, étale les stylos et commence à noter. Des phrases gentilles. Des citations. Des paroles de chansons. Des histoires vécues. Des dessins. Il continue ainsi jusqu’à ce que le pot soit rempli. La multitude de couleurs des petits papiers lui fait penser à des confettis. Il est satisfait de lui. Un cadeau unique qui pourrait redonner le sourire à son ami quand il serait un peu triste. Un pot à couleurs. Une fiole colorée dans la réalité.

Jour 27 : Tonnerre

    Il court. L’enfant court de toutes ses forces. Il court à en perdre haleine. Il court jusqu’à ce que ses jambes se dérobent. Il vient de trébucher. Il se retourne haletant pour vérifier quelque chose et tente de se relever. Il glisse sur un caillou et tombe de nouveau sur le sol. Un nouveau coup d’œil derrière lui. Le bruit se rapproche. De plus en plus. Il l’entend tout près de lui. Le petit essaie de nouveau de repartir, mais il n’y arrive pas. Sa cheville lui fait trop mal. La forme sombre est juste là. Juste à côté de lui. Il ne veut pas la voir, mais ne peut pas s’empêcher de la regarder dans les yeux. Des yeux rouges comme les taches sur sa blouse. Les manches trop grandes cachent les mains de cette silhouette toute en longueur. Une tache blanche et pourpre au milieu de l’obscurité. Une forme qui se rapproche dangereusement. Elle lève un membre. Le jeune est tel un animal apeuré le reflet de la peur dans les yeux. Le bras s’abat sur…

 

    Un bruit sourd.

    Le réveil.

    Brutal.

 

    Haletant, l’enfant a du mal à reprendre son souffle. Il vient de faire ce même cauchemar qui le hantait à chaque période d’Halloween. Mais cette fois-ci le tonnerre l’a réveillé avant que la situation n’empire. Il y a des jours comme celui-là où le petit aime bien l’orage.

Jour 26 : Étirer

    L’enfant danse. Il s’est bien amélioré. Alors que l’adulte aurait préféré qu’il rentre réviser, le petit, lui, s’amuse. Il s’évade. Il rit avec sa cavalière. Mais les musiques sont trop courtes. Les séances semblent se raccourcirent au fur et à mesure. Les semaines passent sans qu’il ne puisse s’attarder un seul instant. Tout va si vite. Le temps file. Difficile de le rattraper. Les moments joyeux sont les plus touchés par cette contraction des minutes qui se transforment alors en secondes.

 

    Le petit être aimerait, pour allonger le temps, appuyer sur le bouton « pause » de la vie et ralentir cette marche effrénée pour profiter des trois minutes quarante-cinq de cette chanson. Il aimerait attraper une baguette magique et faire des minutes des heures. Juste pouvoir graver cette danse sans en oublier un seul détail. Pour pouvoir ensuite s’en souvenir lorsque la mélodie sera moins douce. Il s’efforce alors d’apprécier l’instant. Sans machine à stopper le temps ou de super pouvoirs. Il essaie simplement de ne pas perdre une seule seconde…

Jour 25 : Piquant

    L’enfant est assis à une table. Une place pas bien grande. Juste assez pour y déposer sa copie et sa trousse. Cela fait déjà un moment qu’il est ici. Enfermé entre quatre murs. Mais bientôt il pourra sortir de cette pièce trop étroite pour le nombre d’élèves. Le petit a déjà fini. Il attend avec impatience que la grande aiguille atteigne son but. L’autorisation pour déposer les armes. Il ne peut pas avant qu’une partie du sablier soit écoulé. Il n’aime pas cette règle qui l’oblige à rester alors qu’il pourrait s’évader.

 

    Puis vient l’instant attendu. L’enfant se lève presque immédiatement. Il s’approche du professeur lui tend la feuille et passe la porte. Il est tout seul. Le premier à sortir. Il hausse les épaules et semble entendre au loin une musique. Il doit rêver. Pourquoi il y aurait de la musique dans un bâtiment rempli de salles de cours ?

 

    Il descend les escaliers. Les notes se font plus claires. Sa curiosité est piquée il veut savoir pourquoi. Il continue de suivre le son jusqu’à une grande salle. Les tables et chaises forment des remparts contre les fenêtres. Le petit ne voit pas ce qui se passe à l’intérieur. La mélodie vient bien de là, mais pourquoi une telle protection à moins que…

 

    Il se glisse par la porte la refermant derrière lui. Lorsqu’il se retourne, une personne lui attrape le bras et lui signifie qu’il lui manque un cavalier. Il est un peu perdu. Mais poussé par la curiosité il décide de rester. Un peu de musique, des personnes sympathiques et riantes, des remparts pour libérer l’espace central… l’adulte attendra un peu pour le moment l’enfant danse.

Jour 24 : Tranchant

    L’enfant entre dans les vestiaires. Son sac sur le dos est presque plus grand que lui. Il n’est pas seul, mais ne fait pas attention aux autres. Un simple « bonjour » glissé en franchissant la porte. Il dépose son manteau et entame un mini rituel. Tout à une place, il aime bien ces petites habitudes. Il ne s’aperçoit pas que le nombre de personnes a presque doublé dans la petite pièce. Il ne relève la tête vers les autres qu’une fois son nœud de ceinture finalisé. Il est prêt. Un geste de la main vers les nouveaux arrivants et le voilà de sortie.

 

    Il dépose ses pieds nus sur le tatami. L’entraînement ne tarde pas à commencer. Il court. Il s’étire. Il s’élance. Il répète. Il n’aime pas beaucoup répéter pour répéter même s’il sait que ce n’est que comme cela que son corps apprendra à faire les mouvements sans réfléchir. Mais il a déjà l’impression que son corps les connaît. Cela lui semble logique. Il se réjouit quand il apprend de nouveaux enchaînements. L’enfant analyse tout. Il essaie de comprendre son adversaire pour pouvoir anticiper. Le petit n’est pas grand. Il paraît être un intrus au milieu des adultes. Mais il l’oublie jusqu’au dernier temps de l’entraînement.

 

    Ce temps ne tarde pas à sonner. L’heure des combats est arrivée. Choisir un atelier, trouver un partenaire. Le jeune opte pour les armes, certaines le dépassent presque, mais ainsi il joue à jeu presque égal. L’équivalent d’un katana, mais en mousse à la ceinture, il salue son partenaire. Au signal, il se met en garde et attend la consigne suivante pour attaquer. Il imagine le revêtement de l’objet dans ses mains tout autre. Une belle lame pouvant causer de lourds dégâts. Ainsi il est plus sur le vif. Il a tous ses sens en éveil. Ne pas se faire toucher est son but principal.

 

    Après quelques minutes, changement d’armes. Il opte cette fois-ci pour le nunchaku. Il avait reçu beaucoup de bleus de cet objet même en s’entraînant seul. Mais il trouve ses mouvements tellement beaux qu’il n’a pas abandonné d’apprendre à le manier. En garde de nouveau. Un nouveau combat entre équipiers commence. Le moindre petit coup fait mal au jeune qui sait que cette arme bien qu’en mousse est dangereuse. Il l’utilise avec précaution faisant attention à son partenaire. Mais un moment de contemplation a raison de lui. Figé à observer l’arme trop rapide il n’a pas cillé. Il sait qu’il sera touché, mais il n’a pas prévu la suite. Fendant l’air lui fêla le nez au passage. L’enfant sait qu’il est aussi responsable et encore il avait eu de la chance cela aurait pu être pire. Il se dit alors que la prochaine fois il fera attention à ne pas se laisser aller à la contemplation.

Jour 23 : Vaseux

    Une sensation étrange. Quelque chose lui chatouille les pieds. Il ne veut pas se lever. Puis cette masse l’escalade. Il se contente de se retourner faisant tomber un livre sur le sol. L’enfant n’avait pas pu s’arrêter dans son histoire la veille. Le sommeil l’avait emporté quand il s’y attendait le moins. Morphée l’avait pris dans ses bras, direction le pays des rêves. Et ce matin, le réveil est difficile. Le petit voudrait dormir plus. Le décalage horaire avec le voyage et le coucher tard ne lui réussissent pas.

 

    Il se défait avec du mal de son lit, son doux lit. Il faut bien se lever un jour. Sa tête est un peu douloureuse. Comme sur un camion était passé dessus. Il se demande alors si c’est la même sensation qu’ont les plus vieux quand ils consomment trop d’alcool. Il ne veut pas trop savoir. Il se contente de se dire à lui-même que la prochaine fois il fera attention. Il ne se couchera plus aussi tard… quoique cela dépendrait de ses prochaines lectures.