Miroir et Reflet

    La plage. J’y trouvais Miroir. Sans le vouloir, nous étions encore vêtus de la même manière à peu de choses près. Un jean usé et un T-shirt d’un groupe de non-initié pour ma part. Un jean plus clair et un T-shirt d’animation de non-initié pour lui. Une veste en cuir notre indispensable commun avec la guitare. Comme pour le riff off instant de rencontre.

 

    Intérieurement je rigolais. Jumeaux, habillés pareils il fallait le faire. Et pourtant, les points communs étaient multiples, mais le caractère divergeait. Nous nous complétions bien. Je n’avais pas beaucoup parlé avec celui que je prenais pour un ami imaginaire.

 

    Celui qui m’avait attrapé dans la rue à la fin du riff off. Celui qui m’avait raconté mon histoire. Celui que je ne voulais pas écouter mais qui tète avait insisté. Celui qui se disait être mon jumeau. Celui qui me ressemblait comme deux gouttes d’eau. Androgyne, nuance de genre marqué sans l’être de trop.

 

    Je ne voulais pas le croire. Mais certains détails ne mentaient pas. Je l’avais laissé en lui laissant Hope, mon corbeau. Promesse d’une réponse. D’un nouveau contact. Perdue j’avais contacté cette soi-disant mère dont il m’avait donné l’adresse. Dream, joli moyen duc, commençait à se faire vieux pour ce genre de voyage, mais vaillant il était allé en Russie. Je devais avoir des réponses. Trop de questions se bousculaient. Je n’arrivais pas à faire le tri.

 

    Il était revenu. Lettre dans les serres. Les jours d’attentes interminables. Les nerfs à vifs je tentais d’encaisser. Je tentais de faire le tri. Me faire une idée. Et là la réponse. Proposition de rencontre. Mais avant revoir le « frère »… le miroir. Il m’intriguait. Écriture hésitante. Invitation sur la plage. Lieu doux et ouvert à l’abri des non-initiés et du trop de monde. Une heure un peu tardive. Coucher de soleil magnifique en prévision.

 

    Ainsi, j’avançais les pieds dans le sable. Zip, petit écureuil, sur l’épaule. Guitare sur le dos. Debout face à face. Rester sans voix. Ne plus savoir parler. Vérité sautant encore plus aux yeux. Trouver quoi dire. Rapidement. Quelque chose. Silence gênant. Trop gênant.

 

    – Donc toi aussi tu t’appelles Max ?

    – Oui, juste Max. Mais toi c’est Maximilia, non ?

    – Je préfère Max.

    – Max et Max, quelle drôle de coïncidence quand même.

 

    Un temps. Un rire. Le mien. Cela faisait du bien. De rire un peu. De vivre tout simplement. De penser qu’à l’instant. De rencontrer quelqu’un qui pouvait comprendre. Même si je ne le connaissais que depuis quelques heures. Quelques jours. Mais il m’était familier. Très familier. Trop peut-être.

 

    Même gène. Même gestuelle. Même regard fuyant. Le bavard rendu muet. L’extraverti devenu introverti. En y repensant, cela devait être assez marrant à voir de l’extérieur. Un miroir. Un ami imaginaire pas si imaginaire. Une parole… trouver une idée…

 

    – Je vois qu’on a la même aisance pour discuter. Mais miroir je t’ai vu chanter.

    – Miroir ?

 

    Les mots s’étaient emmêlés. Gêne supplémentaire. Je ne savais quoi faire. Une espèce de surnom qui était de sortie. Miroir, cela lui allait bien. Un miroir plus coloré. Plus enthousiaste. Plus vivant. Plus fort. Innocent. Insouciant. J’allais envie de le protéger. Mais changeons de sujet…

 

    – Ce n’est rien. Tu ne veux pas plutôt jouer ?

    – Découverte en musique…

    – … les mots sont parfois inutiles

 

    Un rire. Commun. Assis sur cette plage. Il était plus vif. Déjà à gratter sa guitare, la mienne encore dans son étui. J’avais bien fait de la prendre. Je le suivais dans les accords. Lui laissant chanter les paroles. Simple accompagnement. Un sourire aux passants. Comme une invitation…

 

 

Rêve ou Réalité ?

    Les vacances. Ou plutôt un simple weekend. Hors du temps. Hors du travail. Loin des responsabilités. Mais aussi loin de mon chez-moi, de mon chalet. Je prendrais le temps de rentrer dans mon petit nid douillet canadien lorsque le séjour sera plus long. Et puis je n’avais pas vraiment la tête aux transports. Encore et toujours des gens. Je préférais rester à m’évader dans les environs. Enfin, j’avais quand même dû prendre train et avion pour aller me perdre dans la forêt Islandaise.

 

    Deux jours. Une nuit. Seule. Un besoin d’air frais. Dans la nature perdue de cette île. Dans la nature je me détendais. Hors du bruit de la civilisation. Dans ce pays que je n’avais visité qu’une fois. J’avais besoin d’un break. Mais je ne pouvais pas me permettre de m’absente trop longtemps surtout en période de cours. J’espérais pouvoir retrouver mon chemin.

 

    Un simple weekend organisé en début de semaine. Une jeune amie que j’apprécie beaucoup. En qui j’avais toute confiance, s’occupait de ma ménagerie. Je lui avais confié mes clés. La douce Aurore était vraiment adorable. Elle avait toute de suite accepté quand je lui avais demandé. Je ne savais d’ailleurs toujours pas comment j’allais la remercier de jouer les baby-sitters. Enfin je lui avais juste spécifié qu’il fallait sortir le duo infernal et que les autres faisaient un peu leur vie. Surtout les volatiles et les deux petits. Une seule condition posée par la jeune fille : pouvoir rester travailler dans la cabane. J’avais souri et approuvé. Même si je me demandais comment elle allait pouvoir se concentrer avec tout ce petit monde. Petite pensée pour elle, avant de partir le cœur plus léger vers ces nouvelles contrées.

 

    Écureuil gambadant. Je m’enfonçais toujours un peu plus. J’allais vers les coins les plus reculés. Sans savoir quel chemin emprunter. Cette forêt semblait cacher mille et un secrets. Je n’avais que deux petits jours. Je devais en profiter. Je courrais à en perdre haleine. Je courrais à en perdre la raison. Ne plus penser. Ne plus réfléchir. Laisser ces pattes me guider. Laisser ce petit corps vivre. Ne serait-ce qu’un moment, qu’un instant hors du temps.

 

    Fermons le livre.

    Posons la plume.

    Respirons.

    Inspiration.

    Expiration.

 

    Une feuille volatile. Des mots plus légers. Les voilà qui se dessinent sur les lignes de mes pensées. Les soucis effacés. Dans la cabane, laissée. Les problèmes oubliés. Dans la maison, restés. Juste un bref répit. Un instant par ici. Apprenez-moi à rêver de nouveau. Aidez-moi à me ressourcer. J’avais besoin de repos. Retrouver un sens à mes pensées. 

 

    J’avançais sans but. Pour le simple plaisir, de voir défiler autour de moi la nature dans son immensité. Pour le moment, je ne prenais pas le temps de l’observer dans le détail. M’éloignant de plus en plus de la ville. M’isolant encore et encore. Seule, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas été réellement. Même si je savais que dans le ciel, un animal veillait toujours sur moi à distance. Il ne me lâchait pas. Même quand je lui avais rendu sa liberté. Il ne m’avait jamais abandonné. Un animal parfois plus compréhensif que certains humains. Et je ne doutais en rien de sa capacité à me comprendre. Comme Zip, petit écureuil malin, il savait quand cela n’allait pas. Mais il ne pouvait pas toujours être là. Peut-être me suivait-il. Peut-être était-il là-bas. Je ne savais pas. Je n’y pensais pas.

 

    D’un coup, je grimpais dans un arbre. Reprendre mon souffle sur une branche. Je pris alors la peine de détailler les environs. Analysant chaque buisson. Cherchant à deviner quel animal pouvait s’y cacher. Quelle créature n’avait pas remarqué ma présence. Certes sous cette forme, je passais inaperçue. Mais certains n’étaient pas dupes. L’odeur sûrement différente me trahissait. Un humain ne sera jamais complètement animal. Même si dans le fond nous étions des animaux. Pas les plus évolués sur Terre. Beaucoup diront le contraire. Cependant, chaque jour de nouvelles découvertes. Demain, peut-être, une intelligence supérieure. Cela fait peut-être un peu peur. Mais je n’aimais pas ce statut privilégié que se donnaient les hommes. Au-dessus de tout et de tous. Pourquoi ne pas marcher main dans la main au lieu de jouer au dominant dominé ?

 

    En parlant d’être vivant, le prince de la forêt venait de faire son apparition. Un mélange de plumage et de pelage. Un blanc étincelant. Hypnotisant. De loin je l’admirais. Il semblait jeune. Mais il s’imposait. Se reposait près d’un arbre. Par politesse, je grimpais un peu plus haut sur le mien. Se rapprocher sans déranger. Juste le toucher du regard d’un peu plus près, cet être au croisement de deux espèces. Hybride de la nature. Mythe chez les non initiés. Mais les mythes n’avaient-ils pas leur part de vérité ? L’histoire d’un Minotaure, d’un cerbère ou d’une fée ? Des animaux fantastiques et créatures magiques. Dans le monde initié, on pouvait les retrouver. Mais le secret de leur existence, empêchant les non-initiés de les étudier. Il était intéressant de noter que la cryptozoologie s’intéressait à ses espèces sans pouvoir prouver leur existence. Une science aux allures de zoologie magique. Malheureusement, rien ne pouvait être démontré et certains de ces savants passaient leur vie à chercher. À juste espérer pouvoir un jour comme moi s’approcher, d’une créature des contes de leur passé.

 

    Le jeune péritio semblait dormir. Allongé. Seul. Je tentais de faire le moins de bruit possible lorsqu’au-dessus de son arbre j’arrivais. Petits pas. Petits pas. Juste des petits pas. Discrétion. Ne pas tomber. Juste profiter de cet instant privilégié. Une couleur attira alors mon regard. Un volatile qui se posa à deux trois branches de là. Une seconde déconcentrée, je faillis chuter. Se rattraper au dernier moment. Se retenir de sortir un son de protestation. L’être volant était loin d’être un oiseau. Un petit ingénu qui se rapprochait de moi. Fée maline égarée. Sûrement échappée d’un repaire ou alors a-t-elle voulu respirer un autre air. Pauvre petit écureuil qui peinait un peu à remonter sur sa branche. Peu de prises à disposition. Mon regard croisa le sien. Non elle n’allait pas oser. Pas maintenant. S’il vous plait.

 

    Elle était beaucoup trop près. Qu’allait-elle faire ? Ne pas m’aider j’en avais bien peur. Elle tournait autour de moi. Je n’osais plus bouger. Elle n’était pas beaucoup plus petite que l’écureuil que je suis. Si seulement je pouvais me transformer. Mais ma position actuelle ne me le permettait pas. Je ne pouvais pas faire grand-chose. Je finis par craquer et tenter de nouveau de remonter avant que mes petits bras ne cèdent. Et que je tombe conséquence inévitable du manque d’accroche et de la gravité combinés. Cependant la bestiole en décida autrement. Détachant mes pattes de l’écorce. Me maintenant une seconde avant de lâcher. Je l’imaginais déjà rire. Un rire sadique. Espèce de petite fée maléfique ! 

 

    Je ne pouvais rien faire à part espérer atterrir dans un buisson. Je ne pouvais pas reprendre forme humaine maintenant. Je risquais de toucher le sol avant la transformation complète. Je fermais les yeux. Des souvenirs défilaient. Je revivais cet instant. Celui où je m’étais fait rattraper par le froid de l’hiver. Ce rêve aux apparences bien réelles. Qui m’avait fait cogiter. Empêcher de dormir plusieurs nuits. La chute m’avait un peu handicapée un temps. Mais maintenant, alors que tout allait mieux. Je tombais une seconde après. Qu’allait-il m’arriver cette fois ?

 

    Un amorti. Un peu de douceur. Je reprenais doucement mon souffle. Mon cœur faillit rater un battement. Un support doux. Et blanc… Blanc ? Il n’y avait pas de neige en cette période de l’année. Soudain, le sol de porcelaine bougea. Je chutais de nouveau. Dans l’herbe cette fois. Un bruit. Un son. Un animal mécontent. Je n’avais plus le temps aux réflexions. Prise malgré moi dans l’action. Une patte de cerf s’abattant violemment. Une patte d’écureuil touchée. Plus de peur que de mal. Mais heureusement la patte ne semblait point casser simplement douloureuse. Conséquence du choc. Un beau bleu le lendemain ornera ma peau. Mais l’heure n’était pas à ces pensées-là. L’attaque continuait. Je me retenais de crier. Je tentais de me calmer. Analyser la situation. Un membre en moins mouvements ralentis. Il me fallait trouver une porte de sortie.

 

    Un terrier non loin de moi. Je sautais m’y réfugier. Espérant. Priant pour qu’aucune créature malfaisante ne s’y trouve. Que le propriétaire des lieux soit absent. Juste l’espace de cet instant. Je semblais avoir de la chance. Aucun bruit venant du fond. Cachée. Je ne bougeais plus. Je m’en voulais de m’être fait avoir par l’être de lumière sombre. Je cherchais une solution. Il ne me laissera pas partir comme cela. Je ne voulais pas fuir non plus. Une idée me vint alors. Se résigner à s’offrir au jeu du sort. Bonne ou mauvaise situation-là n’était pas la question. Allais-je rentrer en un morceau ? Seul le prince avait la réponse. Il semblait s’être éloigné. Je passais alors une tête hors du terrier.

 

    Il tournait. Il virait. Cherchant qui l’avait importuné durant sa sieste sûrement bien méritée. Jeune petit ne pouvant deviner à quel point j’étais désolée. À quel point je m’en voulais ! Déranger quelqu’un, animal ou humain, n’était pas une chose que je faisais souvent. J’hésitais. Le regardant son regard semblant énervé. Je me décidais donc d’assumer. De m’excuser. Sortant de ma cachette. Transformation devant l’animal. Passage de l’écureuil à l’humain rapidement. Tête baissée. Révérence. Main tendue. Paume vers le haut. Je m’inclinais devant le fils souverain des lieux.

 

    Alea jacta est

 

    Pile ou face. Je tentais de garder une allure neutre. Les dés étaient lancés. Une chance sur deux. Pourtant, restant honnête avec l’animal, je n’approchais pas ma main de ma poche. Je n’attrapais pas d’arme. Rien pour me défendre. Majesté suivant les livres sensibles à la politesse. J’entendais un sabot cogner le sol. Se rapprocher. Doucement. Tout doucement. Une ombre au-dessus de moi. Surtout ne pas bouger. Elle recula. Puis s’avança de nouveau. L’animal m’avait répondu d’une révérence. Ses bois me frôlant légèrement. Ne voulant le défier du regard. Je ne me maintenais pas le mien longtemps. Gardant un regard doux et un peu fuyant. Peur de déranger de nouveau. Puis soudain. La magie apparue.

 

    Un museau se posa dans ma main. Je relevais la tête. Doucement. Le prince. Les yeux fermés venaient à sa manière de me pardonner. Un sourire sur mes lèvres. Je n’y croyais. Certainement un rêve comme celui de l’autre fois. Je commençais à caresser son plumage. Puis son pelage. Le regardant. L’admirant de près. Gravant en ma mémoire chaque seconde de ce moment. Imprimant son image sur la page. Je ne saurais dire combien de temps nous restâmes ainsi. Discussion silencieuse. Pas un bruit. Aucun animal venant couper le dialogue. Aucun humain venant arrêter l’instant complice et doux. Tout semblait s’être arrêté autour de nous. Une bulle. Une rencontre surprenante. Un dialogue dans des gestes. De simples caresses. Une accolade. Sa tête par-dessus mon épaule.

 

    Ce fut lui le premier à rompre le contact. Quelques pas en arrière. Je compris rapidement. Une dernière révérence mutuelle. Je le regardais s’éloigner doucement. J’eus un peu de mal à revenir à la réalité. Je continuais de rêver. Écureuil de nouveau transformé. Je continuais de m’évader.

 

    Une forêt aux mille merveilles

    Des rencontres au hasard

    Quelques heures puis le réveil

    Le retour au travail

    Demain la réalité

    Laissez-moi encore un peu rêver

 

    En attendant, je profitais du moment. D’être encore à mi-chemin entre le rêve et la réalité. J’en profitais pour ne plus penser. Juste admirer. M’étonner. J’avais encore des choses à découvrir. Peut-être recroiserais-je un jour le prince de la forêt. Pour l’heure, l’écureuil semblait voler. Porter par l’espoir. Les pensées libérées.

Peluche ou Guimauve ?

    Feu de cheminée. Quelques décorations. Un repas bien entamé. Trop grande était la ration. Réveillon en solitaire. Commençant à avoir l’habitude. Une nouvelle fête sans le père. Moment de solitude. Sans famille proche. Un nouveau Noël, isolée. Le temps faisait son effet. Je ne craquais plus. Ou du moins je me retenais. Vacances à l’école où j’étais gardienne, souvenirs de dernière année. Dans la cabane, réfugiée, j’observais, par la fenêtre, les jeunes se balader. Tandis que je m’apprêtais à sortir, pour digérer.

 

    Gardien de la forêt en action. Écureuil bondissant d’arbre en buisson. Manquant de glisser quelques fois sur les branches gelées, des êtres ayant perdu leurs attraits familiers. Le vert de la nature remplacé par le blanc de l’hiver. Je commençais à prendre mes marques. Dans ce labyrinthe où chaque recoin se ressemblait. Je mémorisais les détails qui transparaissaient. Mais avec cette couverture de neige, le tableau se modifiait. Chaque détail qui semblait acquis ne l’était plus.

 

    Et dans ce joli paysage, je me perdis. Malgré mon pelage, le froid me saisit. J’avais du mal à avancer. Pourquoi avais-je quitté mon nid douillet ? Fragile, je me sentais vaciller. Pas lourd. Difficile d’avancer. Sur une branche plus massive, je voulus me poser. Reprendre mon souffle, quelques instants. Je sautais. Visant mon objectif. Visualisant mon but. Griffes touchant l’écorce. Pattes glissant, amorce. Chute non prévue. Frigorifiée. Pas le temps de me retransformer. Une seule pensée. Un buisson. Un tas de neige pour me sauver.

 

    Un choc. Monde tournant. Tout vêtu de blanc. Seule couleur dominante. Avant que le noir prône. Marque sombre. Roi sur son trône. Perte de connaissance. Une absence. Des souvenirs oubliés. Des pensées embrumées.

 

    Douce odeur. Chatouillant mes narines. Une sensation de chaleur. Réchauffant mon cœur. Mon corps glacé, toujours engourdi. J’ouvris lentement les yeux. Lumière des premiers rayons du soleil. Légèrement visible au travers de la paupière mi-close. Vision quelque peu perturbée. Un peu floutée. Adaptation au changement rapide. Conséquences de la chute imprévisible. Plafond au-dessus de moi. Où était passé le ciel de la dernière fois ? 

 

    Tête lourde. Corps las. Difficile de se redresser. Regard toujours affecté. Droite puis gauche. Je ne connaissais en rien ce lieu. Chambre d’enfant au premier abord. Souvenir d’autrefois remontant. Une maison de bois dans un coin. Ce qui ressemblait à des peluches dans un autre. Un simple bureau, près d’une fenêtre. Qui éclairait la pièce. Une douce harmonie se dégageant. Dans les couleurs, dans la disposition tout semblait familier et différent à la fois.

 

    Tu ne peux rien voir. Une mise au point s’impose. Tu ne peux la faire. Cette pièce tu connais le propriétaire. Des jouets familiers. Tu ne peux le remarquer. La photographie d’un père et sa fille. Coïncidence. Pour toi tout restera abstrait. Et moi petite voix. C’est là la dernière fois que tu m’entendras.

 

    Je levais une main à mon visage. Frotter les yeux pour être sûre de bien voir. Ne pas rêver. Quand soudain une drôle de vérité apparut. Les doigts longs et fins n’étaient plus. A leur place un amas de tissus. Une forme marron et blanche. Une séparation par un fil de trois bouts liés. Phalanges collées. Mouvement de main impossible. Mais qu’avais-je dessus ? Je voulus ouvrir la bouche. Attraper entre mes dents ce qui pouvait être un vêtement. Cependant un problème se posa. Impossible. Comme si les lèvres étaient cousues main.

 

    Un mauvais pressentiment. La panique montant. Je tentais de me lever. Déséquilibre amorcé. Écroulement sur l’oreiller. Oreiller ? Il faisait ma taille. Quelle était donc cette sorcellerie ? Un nouvel essai un peu plus maîtrisé. Ou du moins je le croyais. Mouvement de balancier. Glisser. Rouler. Tomber. Me voici sur un… tapis. Je n’étais plus sûre de bien nommer les objets. La notion de taille non respectée. Les détails absents, vision déficiente.

 

    Je n’avais pas eu mal. Étrange. Chute de deux fois ma taille. Comme si le choc avait été amorti. Comme si…

 

    Tout à coup, quelque chose m’attrapa. Me saisit. Me porta. Le sol s’éloignait. Je tentais de me débattre. Autant que je le pouvais sous cette apparence de… Je ne savais même pas à quoi je ressemblais. Ce qui était certain. Pas d’animal. Pas d’humain. Forme imprécise. Inconnue des livres sur les vivants. Nouvelle espèce peut-être.

 

    – Mais pourquoi tu bouges nounours ?

 

    Petite voix anonyme. Appartenant à ce qui me tenait. Ou plutôt ce qui me déposait. Je pouvais enfin voir ce qui était… Ou plutôt qui était-ce ? Une jeune fille. Cheveux couleur nuit. Deux émeraudes brillantes. Curiosité visible. Innocence de l’enfance. Un sourire aux lèvres. Je ne compris point sur l’instant. Jusqu’à ce qu’en me retournant. Sur ce bureau. Face à un miroir, je me retrouvai. Et là, mon monde bascula. Je n’en revenais pas.

 

    – Dis nounours ? Tu sais parler aussi ?

 

    Tournant. Encore et encore. Je ne l’écoutais plus. À quatre pattes, j’étais stable. Maintenant je comprenais. Dans un corps de doudou. D’ourson blanc j’avais atterri. Par je ne sais quel enchantement. Un museau. Une bouche cousue d’un simple fil noir. Je ne pouvais dire un mot. Léger déséquilibre à présent compréhensible. Rembourrage par endroit manquant à l’appel. Il semblait avoir du vécu ce petit ours polaire.

 

    De nouveau face à l’enfant. Je levais les pattes en guise de réponse. Avant de tomber. Je n’allais donc jamais m’habituer. Petite chute vers l’arrière. Atterrissage sur le postérieur de coton. Assise. Regard vers la jeune fille. Un mouvement de droite à gauche de la tête. Signe universel. Espérant que la petite comprenne. J’étais bloquée. Je ne savais quoi faire. Elle, seule, pouvait m’aider. Ne semblant pas méchante. Ne voulant visible pas me faire de mal. Une main s’avançant vers ma tête. Tapotée par deux fois. Compassion marquée.

 

    – Oh… C’est triste. Pourquoi tu bouges que maintenant ? Dis ? Tu veux jouer avec m… Mais il fait quoi l’oiseau ?

 

    Regard vers la fenêtre. Oiseau posé. Attendant pour entrer. Une autorisation demandée. Émeraude me quitta un instant. Curieuse de voir ce que l’oiseau. Enfin le moyen duc lui voulait. Un rapide échange. Attendrissant. Enfant et oiseau. Un dialogue. Elle parlait aux animaux comme elle parlait à ses peluches. Plus qu’aux humains il semblerait. Une voix douce. Des mots gentils. Une caresse. Un merci. Avant de revenir me voir. Lettre à la main. Un sceau la scellant. Une cloche et… Je ne pus point détailler plus. Elle l’ouvrit sans attendre. Impatience de la jeunesse.

 

    – Nounours on dirait que c’est pour toi. Tu t’appelles Max ? C’est drôle moi aussi !

 

    J’ouvris de grands yeux ronds. Enfin mes yeux cousus l’étaient déjà. Difficile d’avoir un visage expressif sous la forme de peluche. Je me contentais de hocher la tête. Max donc. Drôle de coïncidence. Sur ce point, je rejoignais la petite. Mêmes cheveux. Mêmes yeux. Même prénom. Un peu trop de similitude. J’avais l’impression de me voir. Encore insouciante. Et cette pièce… Il me semblait déjà la connaitre.

 

    – En fait c’est le papa Noël, il veut qu’on trouve une étoile. Il dit qu’elle nous guidera vers lui. Et qu’après il y aura un miracle de Noël.

 

    Aux premiers mots je crus à une blague. Je devais rêver. Seule solution envisageable. Si on reprenait. J’étais dans un lieu inconnu. Quoiqu’un peu familier. Avec une petite fille un peu trop réveillée et innocente. Dans un corps qui n’était pas le mien. Et une lettre d’un soi-disant père Noël nous parlait d’étoile et de miracle. Tout allait pour le mieux. Et pourtant même si cela ressemblait à un rêve, les sensations, tout semblait bien réel. Au point que je finis par croire doucement à cette histoire. Je n’avais pas beaucoup d’options. Je n’allais pas rester ourson.

 

    – C’est trop bien ! Une enquête de Noël ! Vite, je sais où trouver une étoile. D’habitude on la met en haut du sapin. Mais cette année papa ne voulait pas le faire. Elle doit être dans le grenier. Aller vient avec moi.

 

    Je ne pus protester. Par manque de temps, certes. Mais surtout par manque de force. Embarquée contre mon gré sous le bras, d’une petite en pyjama. Courant à travers la maison. Habitation qui semblait vide. Jusqu’à ce qu’une silhouette dans un bureau soit, au détour d’un couloir, visible. Une voix masculine réclamant le calme. Max ralentissant le rythme. Me mimant de ne pas faire de bruit. Loin de moi une telle idée. Je ne pouvais rien faire. Elle me retenait.

 

    Devant l’échelle menant au grenier. Sur son épaule, elle me fit basculer. Je comprenais maintenant ce que pouvait ressentir mon propre doudou. À être baladé. Trimbalé. Un peu partout. Dans tous les sens. Si je sortais vivante de cette aventure, je promettais de faire plus attention à mes jouets. Je ne pus promettre plus déjà dans au sommet de la maison. Dans la pièce la plus haute. La plus sombre. Max me laissa tomber sur le côté cherchant un moyen de nous éclairer.

 

    De mon côté, je tentais de me redresser. Vie de peluche difficile. Déséquilibre, mouvements imprévisibles. Après quelques essais, je réussis à retourner sur mes pattes. Émeraude toujours en quête de lumière. J’allais enfin pouvoir l’aider. Pas lent et incertain. Crainte de la chute à chaque changement. Rembourrage nécessaire. Pauvre petit ours polaire. Soudain, je trébuchais sur quelque chose presque aussi grande que moi. Une lampe torche de non-initié sur le sol. Je la détaillais comme je pouvais. Et tentais tant bien que mal d’appuyer sur le bouton. Arriverais-je à maîtriser ce corps des plus instables ?

 

    Finalement Max me remarqua. Et fit ce que je n’arrivais pas. Éclairant ainsi la pièce. Illuminant cet antre des souvenirs. Remarquant une caisse, enfin plutôt un carton, non loin, je m’avançais d’un pas hésitant. Une guirlande s’échappant d’un côté. Je tentais d’y grimper. Courage petit ours. Tu vas y arriver. Voilà ce que je me répétais. Poussée par une petite main qui voulait simplement m’aider. Je tombais au milieu des boules et des lumières. Décorations de fêtes. Qui devraient être de sorties en cette pério…

 

    – Oupss nounours Max. Attends je t’aide.

 

    Réflexions interrompues. Patte arrière attrapée. J’eus tout juste le temps de m’accrocher à une boite au fond de la boite. Essayant de l’agripper comme je pouvais. Elle glissait. Pas de prise. Pas d’accroche. Ces membres empêchant les mouvements de préhension. Je n’en pouvais déjà plus. Je voulais plus que tout revenir à mon état normal. Heureusement que Max était là. De nouveau dans ses bras j’étais aux premières loges. La regardant ouvrir la boite.

 

    – Tu es le meilleur. Du premier coup !

 

    Je sentais le piège arriver. Se refermer doucement. À mesure que l’étoile se découvrait. Elle était magnifique. Brillante autant que les yeux émerveillés de l’enfant. Qui approcha sa main d’elle pour la prendre. Mon instinct me hurla de partir. Je me débattis. Hypnotisée par l’objet. Elle ne remarqua rien. Ses doigts l’effleurèrent. Simplement.

 

    Nausée. Vomissement. Vertige. Sensation plus que désagréable. Si je n’étais pas déjà de couleur blanche, j’aurais blanchi encore plus. Au point de pouvoir me camoufler dans l’immensité enneigée. De la neige ? Où étions-nous ? Nous ? Max ? Où était la peti…

 

    – Nounours j’ai froid. On est où ? Tu crois c’est la maison du papa noël là-bas ?

 

    Je la sens me serrer encore plus contre elle. Je ne pouvais malheureusement pas lui répondre. J’étais simplement contente qu’elle soit là. Mais en même temps inquiète. Et si des dangers nous attendaient. Et si ce qui semblait être un objet enchanté nous avait amenés droit dans un piège. Je m’en voudrais affreusement qu’il lui arrive quelque chose. Elle était si douce. Si gentille. Si attendrissante et adorable. Une enfant tout simplement. Elle ne méritait pas qu’il lui arrive malheur. Et pourtant alors que je culpabilisais du chalet, elle s’était rapprochée. À la porte, elle venait de toquer. Elle tremblait. Je ne pouvais absolument rien faire. Simplement observer. Me sentant inutile. Doudou fragile.

 

    – Qui es-tu petite fille ? Que viens-tu faire chez moi ? Je suis fatigué.

    – Je m’appelle Max et le papa Noël voulait qu’on touche une étoile. Et pouf on est ici. Il fait très froid.

    – On ? Mais tu es seule. Qui t’accompagne ?

    – Bah nounours Max ! Le papa Noël, il a parlé d’un miracle. Mon ourson il bouge !

    – Entre donc ma petite. Je vais voir ce que je peux faire pour ton ami de tissu. Je m’appelle Santa.

 

    – Elle m’avait tendu à l’homme barbu. Je tremblais de peur. Je ne savais pas ce qui allait m’arriver. Quand le nom de l’individu se fit entendre. Comme par magie. La crainte s’envola. Santa ? Santa Claus ? Père Noël ? Ce n’était pas possible. C’était des contes. Des légendes pour les enfants qui voulaient croire et rêver. Cela ne pouvait être réalité. Et comme si l’homme des mythes pouvait lire dans mes pensées. Une fois sur la table je fus déposée. Il se plaça face à moi. Et fit entendre sa voix. Max timide près de la cheminée. Elle cherchait à se réchauffer.

 

    – Ne t’en fais pas Maximilia Bénédicte. Oui je connais ton prénom. Je sais qui tu es. Laisse-moi te libérer. Je crois que tu as maintenant assez pour tes réflexions. Fais attention à toi. N’oublie pas tout du passé.

 

    Je ne compris pas ses mots. Pas leur sens. Trop occupée. Cerveau bloqué sur la première phrase. Une identité révélée. Des plus exactes. Et tandis que je me perdais dans mes pensées. L’homme marmonnait dans sa barbe. Je me sentis tout à coup fatiguée. Le monde tournait. Mes pattes ne me supportaient plus. Je glissais. Tombais à nouveau. Une petite voix. Une main derrière ma tête. Un bisou sur le museau. Sensation petit à petit disparaissant. Noir total.

 

    Froid. Joue. Réveil. Par un petit animal. Un rouquin ayant posé son museau sur mon visage. Lieu familier. Mon chez-moi. Près de la forêt. Premier réflexe me lever. M’analyser. M’observer. Vérifier que tout soit à sa bonne place. Tête légèrement vacillante. Mais tout semblait en ordre. La petite fille était donc un rêve ? Cela m’a paru bien réel pourtant. Je ne savais quoi en penser.

 

    Je me tournais vers mon ami à quatre pattes. Lui souriant. Remarquant près de lui une lettre. Un sceau étrange. Me rappelant quelque chose. Un cloche et homme de pain d’épice. Où l’avais-je déjà vu ? J’avais du mal à me souvenir. Esprit encore perturbé. J’ouvris délicatement l’enveloppe. Lisant le mot inscrit. Le murmurant. Partageant l’information avec la boule de poils. La reposant par la suite sur le côté. Avant de caresser en souriant la tête du petit mammifère.

 

    Les miracles n’existaient peut-être pas

    Mais la magie de Noël était bien là.

 

 

La mystérieuse lettre : 

 

    Chère inconnue,

 

    En revenant du travail, je me suis égaré près de la forêt. Celle que vous appelez interdite à l’école. De là un petit écureuil m’est apparu. Il me semblait qu’ils hibernaient en cette période de l’année. Mais celui-ci semblait bien vif. Et un peu paniqué. Sans savoir pourquoi je l’ai suivi goût de l’aventure.

 

    Il m’a amené jusqu’à vous. Ou plutôt jusqu’à un de ses confrères. Jusqu’à ce que je remarque une sorte de tatouage. Une chance que je ne quitte jamais ma stèle. Une petite rune, vous m’excuserez, pour voir devant moi une jeune femme étendue. Complètement prise par le froid.

 

    Je suivis de nouveau le petit être à travers la forêt jusqu’à une cabane à la lisière de celle-ci. J’y entrais et vous déposais sur le lit. J’ai pris la peine de relancer le feu et vous apporter quelques runes de soins avant de reprendre mon chemin. J’espère que vous vous portez bien.

 

    Remerciez le petit.

    Ne me remerciez pas.

    Joyeux Noël à vous

 

 Un père Noël qui passait par là

Vacances mouvementées

    Les vacances. Enfin pouvais-je appeler cela des vacances sachant que je ne travaillais pour personne ? Je ne devais de compte qu’à moi-même, mon propre patron. Avant de continuer à mener mon enquête, je m’étais décidée à partir en balade. Pour me détendre, ne pas penser pendant quelques jours à ce qui pouvait m’attendre. Replonger ainsi dans l’innocence de l’enfance. M’émerveiller devant des paysages, tous plus beaux les uns des autres. Me détacher du passé.

 

    Il fallait dire qu’avec ce que j’avais découvert il y a quelques jours en France, j’avais besoin de m’isoler. De faire le point sur moi-même. Ne plus penser à ce père qui me compliquait, malgré lui, la vie. Mais il me la simplifiait aussi d’une certaine manière. M’offrant une possibilité d’isolement. Loin de la civilisation. Une promesse faite à un enfant que le petit devenu grand avait oublié, mais que le père tenu jusqu’au bout. Comme pour essayer de se racheter de ses erreurs.

 

    Sweat sur le dos. Stèle dans la poche. Je m’enfonçais dans cette forêt. Un lieu que j’appréciais beaucoup et de plus en plus. Plus j’avançais. Plus je m’éloignais du village le plus proche. Mieux je me sentais. Libérée de toutes contraintes. À l’abri des regards, je pouvais être moi. Et non celle que l’on voulait que je sois. Je sentais que ce lieu encore inconnu qui venait de m’être légué deviendrait mon antre à moi. Mon jardin secret. Une place spéciale pour les vacances.

 

    Normalement, je ne devrais plus tarder à arriver. Je me demandais bien ce qui m’attendait. À la fois excitée et craintive. Je ne savais plus si cela était une bonne idée. Mais il était trop tard pour faire demi-tour. La nuit sur le point de tomber, je devais me trouver un abri. Ne connaissant point les lieux. Ne sachant point si j’étais en sécurité dans ce bois. Je me devais de trouver ce cadeau, ce dernier présent que m’avait caché mon père. Quitte à me perdre encore plus dans cette nature luxuriante.

 

    Au détour d’un arbre, une maison. Un chalet. Des souvenirs qui remontaient. Non ne me dites pas qu’il l’avait fait… Ce lac me rappelait tant de bons moments. Des instants de jeunesse où innocente je suivais mon paternel. Lui parlant de mes rêves. Lui expliquant que plus tard à la place de la petite cabane de bois minuscule, je construirais un beau chalet pour les écureuils et moi au pied de l’eau. Petite, innocente, naïve que j’étais. Des rêves plein la tête. Je m’amusais, dessinais cet endroit de repos près du lac. Tendant le dessin au père peu attentif. Du moins c’était ce que je pensais.

 

    Une larme qui roulait sur ma joue. Cela ne pouvait être qu’une illusion. Et pourtant. En me rapprochant, je distinguais de mieux en mieux le nom sur la petite boite aux lettres. Le mien « Max Valdrak, maison de l’écureuil, perdue dans la forêt ». Voilà ce qu’on pouvait lire de gravé dans le bois. Une nouvelle larme. Il l’avait fait. Je ne savais quoi dire. Moi qui voulais faire une pause. Prendre du recul. Oublier la famille et les souvenirs. Je plongeais la tête la première dedans.

 

    J’avançais. Doucement. Levant la tête vers la porte. Une feuille de papier abîmée tenue par un poignard dessus. Un nouveau sentiment s’ajouta au mélange déjà bien fourni. De la curiosité. Mais aussi de la peur en voyant quelques taches semblables à du sang. Pourquoi ? L’ignorant j’allais pour ouvrir la porte, mais rien, je me brûlais la main sur la poignée qui avait l’air enchantée. Craignant de ne subir les conséquences d’un nouveau piège, je ne sortis point ma stèle.

 

    Quelques pas. La main brûlée dans l’eau fraîche. Une fois sortie de l’eau, je la bandais. Ne sachant pas si une malédiction m’avait touché ou un simple sort de chaleur. Préférant opter pour la sûreté. À la manière des non initiés, je soignais cette blessure avant de m’approcher de nouveau de la porte. Lisant cette fois-ci la lettre auparavant ignorée.

 

« Minautore, poudre d’hydromel

Aventurier perdu, passe ton chemin

Xena la guerrière maudite te hantera

Il existe en ce milieu un mystère

Le trésor de l’animal souverain

Il est le seul à pouvoir l’ouvrir

Animal petit et rapide

Cette mission n’est pas des plus simples

Maison autour de laquelle 1001 pièges positionnés

Est celle de l’animal roux

Maintenant libéré de l’influence familiale

La clef de son ancre il doit trouver

Tienne dans son cœur

Je l’ai caché aux voleurs

Te diviser dans cette forêt

L’arbre siamois à trouver

Avais-je bien coupé l’objet en trois ?

Promis il n’y en a que trois

La seconde pour l’avoir

Clef de tiers dans l’eau prospère

Tu n’es pas mort, je l’espère

Trouveras-tu, descelleras tu les pièges

Car brulé, en morceaux ou mangé tu peux terminer

Intelligente et vive comme l’animal incarné

Tu devras te comporter

Es-tu assez agile pour trouver

Mon dernier au sommet s’est retrouvé

Petit discret dans le trou de la réserve

Écureuil de l’arbre marqué

Devenu grand plus de vingt ans tu peux entrer

Grand petit enfant si élu tu es les pièges ne pourront te toucher

 

Signé un initié noir et roux »

 

    Je frissonnais. Relisant encore et encore le texte sans queue ni tête. Qui avait bien pu l’écrire ? Qui avait piégé la maison qui semblait être la mienne ? Un bloc-notes sorti de ma poche. Je gribouillais quelques mots. Il me fallait cette clef. Je ne pouvais pas laisser un inconnu m’empêcher de découvrir le dernier cadeau de mon père. Mais l’auteur du mot était-il vraiment si inconnu ?

 

    Cherchant un message caché. Une autre signification à ce mot sans trop de sens. Je remarquais une référence non initiée me tapant à l’œil. Un mot, un prénom peu utilisé. Soudain le texte devenait clair d’un coup. La mise au point se faisait. Tandis que je découvrais ce mini message. Aux yeux de tous seul un fou pouvait avoir écrit ces lignes. Mais j’en avais trouvé le secret. A chaque changement se relevait.

 

    Je relevais la tête vers le ciel, où la lune prenait doucement place. Les yeux remplis, je retenais mes pleurs. Jusqu’au bout j’avais l’impression qu’il voulait que je me souvienne de lui. Pourquoi ne pouvait-il pas agir normalement pour une fois ? J’allais faire demi-tour. Ne voulant plus avoir à faire avec cet homme. Lettre au sol, je repartais vers la forêt. Bien décidée à trouver une place pour me reposer.

 

    Un battement d’ailes près de moi. La lettre de nouveau face à moi. Tenue entre les serres de Dream. Mon moyen duc. Mon ami. Libre de nouveau, il m’avait suivi. Et pour une raison qui m’échappait, il semblait vouloir que je rentre dans la maison qui était la mienne. J’hésitais. D’un côté je ne voulais point résoudre cette énigme écrite par un homme n’ayant plus toute sa tête et d’un autre rentrer au village de nuit ne me semblait point très judicieux.

 

    Un hurlement. Un loup. Ou plusieurs. Je reconsidérais alors l’option de la maison. Trouver trois pièces, cela n’était pas compliqué, si ? Moins dangereux que se retrouver face à des carnivores du moins. Enfin cela je le supposais juste. Car comme le disait la lettre des pièges se cachaient. Il me fallait donc être vigilante.

 

    Résignée à finalement résoudre à contrecœur la petite devinette, je me mis en quête d’un arbre siamois. Une rune de lumière lancée. J’y voyais maintenant mieux. La recherche plus simple pour mes yeux, qui la nuit ne voyait que peu. Je marchais à travers les arbres qui ne manquaient point dans les environs. Mais aucun ne correspondait à la description.

 

    Soudain, j’entendis derrière moi un grognement. Je me figeais à l’instant. N’osant plus bouger. Je tournais tout doucement la tête, pour apercevoir à ma grande surprise un animal à la mâchoire acérée qui avait l’air de vouloir de moi au diner. Je pris une grande inspiration puis partie comme un boulet. Zigzagant entre les troncs. Mais le quadrupède plus rapide ne tardait pas à poser ses pattes sur mes épaules me faisant basculer vers l’avant.

 

    Stèle hors de mes mains. Un mètre devant moi. Je n’avais pas beaucoup de choix. L’écureuil prit rapidement la place de mon corps. Et sans laisser le temps à l’animal de réfléchir, je gravis un arbre. Le premier que je vis. Une fois en hauteur, je m’assis soufflant un peu surtout lorsque je remarquais que le carnivore venait de repartir. La proie hors de portée. Il avait vite abandonné. Réaction assez étrange. Conséquence d’un piège sûrement posé par le poète.

 

    En faisant attention. Toujours sur mes gardes. Je descendis de mon perchoir. Me retransformant les pieds à terre. Attrapant ma stèle par la même occasion. En nettoyant vite fait mes affaires. Tête levée, je vis, incrusté dans le tronc que je venais d’escalader. Un morceau de ce qui semblait être une clef. En y regardant de plus près l’arbre. Deux troncs se séparaient de l’axe central. L’arbre siamois face à moi. Je remercie par la pensée cet animal affamé.

 

    À l’aide d’une rune d’attraction, je récupérais le petit bout. Et une fois glissé dans la poche, vers la maison je retournais. D’après les mots, je devrais le trouver à l’eau. Et d’après mon voyage le seul lac rencontré était celui au bord duquel se trouvait le chalet. Espérons juste que ce coin d’eau soit le bon.

 

    De nouveau près de la maison, je tentais tout d’abord de lancer un sort pour attirer vers moi l’objet caché. Mais que nenni ! Cela aurait été trop simple. Je roulais les yeux au ciel. J’allais devoir mouiller le maillot. Sweat sur le côté avec les chaussures et le jeans. Je fis apparaitre un masque de plongée avant de me jeter dans le lac.

 

    Eau froide. Glacée. Des frissons au contact. Bain de minuit improvisé. Dans quoi m’étais je embarquée ? Mais maintenant que j’avais commencé, je devais terminer. Trouver la deuxième partie de la clef. Cependant, un obstacle se dressait face à moi. Un gardien protégeait le morceau. Un animal marin, aux dents pointues bien visibles. Espérons qu’il ne me prendrait point pour cible.

 

    La tête à la surface je repris mon souffle. Un sort prêt à être lancé, je rejoignis les profondeurs. La bestiole se lança sur moi. Me mordant le mollet. Une rune. Des flèches qui s’en échappent. Elle me lâcha, et tomba de trois flèches dans le crâne logé. Bout de métal en main je retournais vers l’herbe. La morsure douloureuse m’empêchant de me lever. Ne connaissant point l’animal m’ayant attaquée, je tentais un dessin médical.

 

    Mais rien n’y fait. Vive la douleur semblait s’amplifier. Ne connaissant que peu mes sorts de soins, j’entrepris de bander la peau touchée. Espérant intérieurement qu’une fois la porte franchie, tous les soucis disparaitront. Il me restait seulement l’antre de l’écureuil à trouver. Un trou dans un arbre. Mais lui je l’avais repéré sur mon chemin avant de trouver cette maison.

 

    Je boitais alors vers le grand noisetier. Changée en animal roux, je rejoignis le trou. La réserve. Non sans mal. Une patte douloureuse, m’empêchant de courir. M’obligeant à bien faire attention à chacun de mes mouvements. Une fois à hauteur, point de pièges à ma grande surprise. Un simple mot autour du trou gravé « Bravo ma fille ». Une patte à l’intérieur, j’en sortis l’objet avant de retourner sur la terre ferme.

 

    Humaine de nouveau. J’avançais vers la porte. Doucement ma surement. La douleur s’étendant petit à petit. Une rune sur les trois bouts. Une clef. Une serrure déverrouillée. La porte enfin s’ouvrait. Laissant place à une magnifique pièce à vivre. Conviviale. Accueillante. Un endroit assez cosy. Des fauteuils. Un canapé. Des coussins de partout. Des pierres sur la droite, entourant une cheminée bien utile durant l’hiver. En remontant le regard, les yeux au plafond, des poutres apparentes.  

 

    Une table basse au centre où traine une fiole colorée ainsi qu’un petit mot. Je m’avançais. Manquant de tombée. Toute ma jambe paralysée. Sans réfléchir, ne sachant pas ce quelle pouvait contenir, j’attrapais le flacon et l’avalais d’un coup avant que le poison continu d’agir. Puis reprenant petit à petit mes esprits. La lettre en main assise sur le tapis je lis.

 

    « Ma chère fille, désolée de t’avoir fait subir cela, mais je ne voulais point qu’une personne autre que toi entre là. Lorsque tu m’avais dit que tu t’intéressais à l’instinct animal, je m’étais souvenu de l’image de ton totem. Misant sur un coup de poker. L’écureuil comme emblème j’ai construit le piège. Dans la fiole un antidote tu trouveras au poison du poisson. Ne t’en fais pas pour les pièges il n’y en avait point plus que trois, la poignée, le loup enchanté, et le sort de protection sur la maison. Mais une fois la clef tournée ils se désactivent par eux même. Je suis fière de toi. Et si tu me lis, c’est que je ne suis plus là. Je tenais à te faire un dernier cadeau avant que l’on me retrouve. J’y ai mis mes dernières forces. Prends bien soin de toi. Vis pour toi et respecte les autres. Ne deviens pas comme moi. Je ne suis plus là pour te protéger, mais je te sais maintenant assez grande.

 

    Je t’aime

    Maximilien »

 

    Des larmes. Encore des larmes. Moi qui voulais l’oublier. Je ne pourrais pas. Il était mon père. Un pilier. Un modèle. Et malgré ce qu’il a pu faire. Je savais que dans le fond, il restait celui que je connaissais. Je ne pouvais point lui en vouloir. Il cherchait juste à me protéger. En faisant les mauvais choix et en se complaisant dedans, il jouait consciemment avec le feu. Et il s’était brulé.

 

    Aujourd’hui seule dans cette maison je pleurais. Masque à terre. Les émotions se déchaînaient. Je pleurais ce père peu présent que jamais je ne reverrais. À qui je n’avais même pu dire au revoir. Père que je voulais effacer de ma mémoire. Mais une personne aimante toujours là malgré son absence. Paternel au passé noir conscient de ses erreurs. Il n’en restait pas moins protecteur. Essayant d’éloigner sa fille des dangers. Un être à la logique imprécise qui même pour sa fille était incomprise. Malgré son absence.

Instinct Animal

    Une nouvelle. Une annonce. La perte d’un pilier fondateur. L’effondrement. Le renferment. Je m’étais isolée. Je ne voulais plus voir personne. Dans la forêt, je dormais, seule. Au plus proche de la nature. Loin du monde. Loin de la ville. Loin des personnes qui pourraient me voir, me juger.

 

    Dans ma bulle. Dans mes livres. Seule avec ma musique, mes souvenirs. Je me sentais moi dans cette nature qui me tendait les bras. Sans les autres, je m’exprimais sans mon masque. Sans ce filtre à sentiment. Je me laissais aller. Colère, peur, tristesse. Des sentiments qui se mêlaient. Que je laissais aller. Personne n’était là pour me les reprocher. Je les laissais donc sortir, eux que j’avais enterrés sans même le remarquer au début.

 

    Assise dans mon arbre, je me sentais protégée. La nature semblait m’appeler autant qu’elle m’apaisait et m’aidait. Je ne voulais plus la quitter. Ne faire qu’un avec elle. Ne plus penser à mes problèmes. Laisser cet animal en moi ressortir. Il était peut-être l’heure, le bon moment pour commencer cette formation. Ce long cheminement vers l’instinct animal. Ce domaine qui m’attirait. Une petite voix au fond de moi me poussait à sauter le pas.

 

    J’avais relu plusieurs fois le livre que j’avais, pour être sûre des différentes étapes. Pour pouvoir rassembler les ingrédients. J’avais quitté ma forêt pour aller les chercher. J’étais maintenant décidée à me laisser guider vers cet animal en moi. Mais, en attendant de le trouver. J’avais remis mon masque. Je ne voulais pas que les personnes que je croiserais soient témoins de ma sensibilité.

 

    Grâce à ce voile, je redevenais celle que j’étais à l’école des initiés. Ou plutôt celle que je voulais bien montrer. Dans le fond, derrière, j’avais toujours été cette petite fille timide, craintive, impulsive, curieuse et sensible qui pour plaire à son père se comportait en élève modèle. Cachant sa sensibilité ne montrant juste ce que les autres voulaient bien voir.

 

    Dans une petite boutique, j’avais acheté la poudre d’étoile et la fiole en cristal, avec les économies qui me restaient. J’en avais aussi profité pour faire quelques provisions. Puis, j’avais entrepris un nouveau voyage à la recherche des deux éléments manquants.

 

    Je tentais durant mon expédition de garder mon calme. Ne pas céder à l’impatience. Même si au fond de moi j’avais hâte. Hâte de me découvrir autrement. Et en parallèle, je profitais de tous les moments que je passais à chercher, qui j’étais au fond de moi. Me posant des questions. Curieuse de ce que je pourrais découvrir au bout du voyage.

 

    Un tour dans un continent voisin. Un peu de patience. Beaucoup de recherches. De questions posées aux habitants. Alors que je pensais ne pas réussir à la trouver avant un moment. Une fleur des montagnes à mes pieds. J’avais eu de la chance de la trouver si vite, à quelques jours de l’échéance. À quelques jours de cette nouvelle pleine lune.

 

    La magnifique aux nuances roses et violines maintenant dans une boite à l’intérieur de ma poche. Je devais maintenant trouver un endroit où me retrouver. Dans une nouvelle forêt, loin des habitations je m’étais installée, après avoir recueilli le dernier ingrédient. Le soir prochain je devrai être prête.

 

    Aucun nuage dans le ciel. La lune pleine dominait, haute au milieu des étoiles. Je sortis ma boite. Dedans, les éléments étaient rangés, n’attendant que d’être utilisés. Dans la fiole, je déposais un de mes cheveux arrachés à l’instant. Je versais ensuite, une cuillère de rosé recueillit le matin même dans cet endroit si reculé que l’homme était comme un intrus en son sein.

 

    Les pétales ajoutés ainsi que la poudre d’étoile, je fermai la fiole et la déposais au pied dans l’eau d’un lac proche de moi. Je m’écartais ensuite du lieu où le vent se faisait entendre et où la nature avait tous ses droits. À quelques mètres de là je me fis un petit abri. Un petit chez moi improvisé en attendant l’étoile qui allait tout changer.

 

    Je vivais au rythme du mouvement des astres. Me réveillant avec les premières lueurs du soleil. Me levant, stèle à la main. Pointée sur le bras. Dessin lent et précis. C’était devenu une habitude. Une sorte de rituel. Un nouveau battement rapide se faisait sentir. Dès le matin. Une sensation agréable.

 

    Une même habitude en regardant le coucher du soleil. Une nouvelle connexion avec l’animal en moi. Je pouvais comme la sentir. Les jours passaient. Seule dans la forêt je restais. Méditant. Lisant. M’entrainant. La musique m’accompagnant. Dream, mon cher moyen duc pour seule compagnie lorsqu’il ne partait pas se balader. Je lui avais rendu sa liberté. Mais il continuait de venir me voir. Comme s’il voulait m’apporter son soutien. Comme s’il ne voulait pas me laisser seule.

 

    Soudain, un soir. Au moment où j’allais m’endormir. À la belle étoile dans mon lit de feuilles comme chaque jour passé dans cette forêt. Les étoiles brillaient plus ce soir-là. Beaucoup plus que les soirs d’avant. Un bon pressentiment montait en moi.

 

    Je vis un éclair déchirer la toile céleste. Je n’attendis même pas un autre signe ou un quelconque signal. J’étais déjà debout, courant vers cet endroit où plusieurs semaines auparavant j’avais déposé ma fiole. Plusieurs semaines que j’attendais chaque jour l’étoile filante répétant la rune matin et soir. Je n’avais même pas osé m’écarter de trop de ce lac de peur de ne pas pouvoir le retrouver.

 

    J’étais restée dans cet endroit isolé. Me débrouillant par moi-même. M’occupant comme je le pouvais. À la fois impatiente et stressée. Je tentais de garder mon calme chaque jour passant en espérant que le suivant serait le bon. Perdant petit à petit la notion du temps. Je ne savais même pas quel jour on était. Tout ce que je savais c’était qu’il allait changer les choses.

 

    Sous la pleine lune et la nuit d’étoile, je plongeais mes mains dans l’eau pour en sortir la fiole. Je pris un instant pour la nettoyer du mieux que je pouvais avec le T-shirt abîmé duquel j’étais vêtu. N’ayant pas beaucoup de vêtements j’avais préféré garder mes costumes propres optant pour un simple T-shirt et un jean durant mon long séjour isolé du monde. Une fois sèche je l’admirais.

 

    Rouge. Rouge sang. Telle était la couleur actuelle de la potion. Je jetais un coup d’œil aux environs. L’espace me semblait en sécurité. Tout le long de mon attente, aucune ne trace d’une quelconque menace. Je bouchonnai doucement la fiole avant de la porter à mes lèvres. Je la finis d’une traite. Plus moyen de revenir en arrière. La transformation allait s’opérer. D’un côté je redoutais et d’un autre j’étais impatiente.

 

    Il ne me restait qu’une chose à faire. Stèle sur le cœur. Je répétais pour la énième fois et sûrement la dernière, les gestes du rituel. Ceux que j’effectuais à chaque lever et coucher du soleil depuis plusieurs semaines. Une grande inspiration. Beaucoup de concentration. Des traits précis sur la peau.

 

    Une vive douleur. Partout. Anesthésiant chaque fibre de mon corps. Me coupant le souffle sur l’instant. Je me repliais sur moi-même. Cherchant à oublier cette douleur. Elle faisait partie de la transformation. Mais elle était insupportable. Elle me paralysait. Mes pensées rivées sur elle, j’en oubliais le reste. Au fond de moi, je cherchais la force de passer outre. Me focalisant sur autre chose. Mon cœur.

 

    Ce dernier s’emballait. Comme s’il voulait sortir de ma poitrine. Sa cadence s’était accélérée d’un coup. Ma respiration le suivant. Je ne cherchais plus à comprendre. Je ne me posais plus de question. Mon esprit entièrement concentré sur ces changements qui s’opéraient.

 

    Dans ma tête une image. Douce. Réconfortante. Un petit animal roux. Un petit écureuil qui semblait me regarder. Attendre que je le rejoigne. Mon attention était sur lui. Le détaillant par la pensée. Tandis que mon corps douloureux lui bougeait et changeait malgré moi.

 

    Je ne le remarquais point, mais mes vêtements fusionnaient petit à petit avec ma peau pour se changer en poil. Le pelage s’étendait à partir de mon cœur. Comme une goutte d’encre qui s’étalait sur une feuille de papier. La fourrure rousse me recouvrait rapidement.

 

    Tout à coup, deux nouveaux sens sollicités en même temps. De manière vive. Brutale. Des odeurs de partout. Des bruits tout autour. Un mal de crâne qui s’intensifiait. L’odorat plus fin. Une odeur me prenait le nez. En parallèle, dans mes oreilles les sons se mêlaient. Tout se passait vite. Trop vite. Je n’avais le temps de prendre conscience qu’un nouveau changement prenait sa place.

 

    La douleur toujours présente. Je me sentais perdre l’équilibre. Me rapprocher dangereusement du sol. La transformation s’achevait de manière brutale. Mes membres se réduisaient presque en même temps de façon instantanée. Mon corps se modifiait de plus en plus. Je n’arrivais plus à suivre les étapes. Tout était flou. Intense. Rapide. Douloureux.

 

    Puis tout doucement. Tout redevenait calme. Paisible. Comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton marche/arrêt. J’ouvris doucement les yeux. Allongée sur le sol, je n’avais pas vraiment la notion du temps ou des événements. Seule la douleur restait comme souvenir.

 

    Je me redressais tranquillement. Pas de mouvement brusque. Je devais apprendre à utiliser cette nouvelle forme. Je me sentais bizarrement bien. À l’aise. Libre. Ce sentiment de liberté m’envahissait petit à petit. J’en oubliais les obstacles que j’avais traversés pour arriver jusqu’ici. Je n’avais qu’une envie. Courir.

 

    Je partis donc en direction de la forêt. Ce petit corps qui était maintenant le mien se mouvait malgré moi. Je souriais. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie tellement bien. Aussi moi tout simplement. Plus la peine de se cacher. Je pouvais maintenant vivre. Me libérer de ce masque en me transformant. En rejoignant ma forme animale.

 

    En grimpant dans un arbre, je fis un peu plus attention à mon nouveau corps. De petites griffes aux pattes. Un pelage roux. Je pris un peu plus conscience de ce en quoi je m’étais transformée. Mais je n’arrivais pas encore à le distinguer pleinement. Sur la branche, je me tournais plusieurs fois autour comme pour essayer de me détailler. Un écureuil. Le même que celui qui m’était apparu en même temps que la douleur.

 

    Douleur. Transformation. Lac. Stèle. Je l’avais oublié. Vite. Je courus à nouveau vers la source d’eau. J’entendais les sons de la nature de manière plus claire. Je sentais la douce odeur de l’herbe mouillée se mêler à d’autres que je n’arrivais pas à distinguer.

 

    Ce corps reflétait qui j’étais à l’intérieur. Je ne le savais pas encore, mais ce petit écureuil, ce changement, cette formation allait impacter ma vie. Plus que je ne l’aurais cru. Elle m’aidera à m’ouvrir. À m’évader lorsque le masque deviendrait trop pesant. Plus tard je comprendrai que ce petit être n’était autre que le moi que je cachais. Cette partie timide, craintive, furtive et sensible qui ne devait pas être découverte, mais qui se reflète une fois seule l’animal dans les pensées.

 

    Pour l’instant, une chose dominait mon esprit. Ou plutôt deux. La curiosité et la panique. Mais une fois à côté de ma stèle, cette dernière pensée s’envola. Je ne pus m’empêcher de me rapprocher du lac à petits pas. Cherchant mon reflet au milieu des ondes produites par les mouvements de l’eau à la surface. Je penchais la tête sur le côté. Une patte l’oreille. Je me grattais. Sourire figé. J’admirai cet animal qui n’était autre que moi.

 

    Avant de faire cheminement inverse, je fis de nouveau comme sur la branche un tour sur moi-même. Remarquant cette fois-ci une marque. Mon tatouage apparaissait sur mon pelage. Le petit oiseau en origami. Celui qui ornait mes côtes. Qui symbolisait pour moi la liberté. Le voilà maintenant gravé sur le petit rouquin.

 

    Je fermai les yeux. Repensant à qui j’étais. À mon corps humain. Le visualisant dans mon esprit. Quittant à regret l’animal. Pour le retrouver plus tard. Non pas plus tard. Bientôt. La transformation s’opéra doucement. Comme si une partie de moi voulait rester dans ce corps. Mais maintenant ma formation terminée, il me fallait rejoindre les hommes. Trouver un moyen d’avancer. Je n’étais plus vraiment seule. Le masque me pesait moins. J’avais maintenant un objectif, que je m’étais trouvée durant cette période solitaire dans ma bulle, dans la nature, à l’abri du monde et des autres.

 

    Mon but était de découvrir ce qui était arrivé à mon père et pourquoi ne pas trouver un emploi. Revenir doucement à la civilisation. M’ouvrir à nouveau, moi qui me suis renfermée ces derniers mois. Sans donner de nouvelles à personne. Être peut-être moi-même. Et qui sait laisser le masque de côté et vivre tout simplement. Et je savais qu’au fond de moi, cette formation, cet animal me guiderait et m’aiderait.

 

    J’avais retrouvé mon corps humain. Je me redressais difficilement. La fatigue me gagnait. Sous le ciel étoilé, je me tenais assise. Je tapotais doucement mon corps, vérifiant que rien n’avait été oublié lors du voyage retour. Non rien. J’attrapais ma stèle et je repartais vers mon abri de fortune. Dormir ou plutôt méditer sur les événements qui venaient de se passer. La suite ne dépendait plus que de moi. J’avais hâte de retrouver l’écureuil. Le sourire n’ayant pas quitté. Cela faisait du bien de sourire. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Mais je me sentais bien. Détendue.

 

    Enfin moi. Sans masque. Sans artifice pour une fois. Je savais que cela serait compliqué de revenir vers la civilisation. Mais peu importe. L’animal qui portait mon tatouage me guidera. Et comme j’ai laissé ma marque sur lui. Il m’avait laissé un souvenir de son passage. Ma chevelure abordait maintenant la même couleur que son pelage.

Cauchemar et Examen

    L’antre des messagers, il y a peu, je l’avais quittée

    Dans la file d’attente, je me tenais

    Un examen nous était annoncé

    J’essayais d’oublier les événements passés

    Je devais rester concentrée

    Autour de moi des visages que je connaissais

    Mais seule dans mon coin je restais

    Je ne devais pas leur parler

    Si je commençais à discuter

    Le masque tomberait

    Il était fragile

    Ne tenait qu’à un fil

 

    Une élève venait de sortir de la salle de classe devant laquelle j’attendais mon tour. Un visage familier. Une personne qui avait tenté de m’aider. Mais là ne devait pas se porter mon attention. Encore une personne et c’était mon tour. Sortant de ma rêverie, je franchis le seuil. Fermant la porte derrière moi, je m’avançais vers le professeur. À ses côtés une armoire.

 

    Un souvenir remontait avec une mélodie. Une sensation de déjà-vu. Et là dans les mots du professeur je compris. Je devais oublier mes problèmes. Me concentrer sur le test. Une première partie pas des plus simples. Mais j’étais concentrée. Motivée. C’était juste un mauvais moment à passer. Stèle levée. J’étais prête…

 

    Ou pas.

 

    Un miroir. Un nuage noir. Une forme devant moi. Cette fois-ci aucune mélodie pour m’aider. J’étais seule face à cette silhouette masquée. Toute de noir vêtue. L’objet blanc. Immaculé. Sur le visage, le cachant. Le protégeant. Mes yeux, eux, étaient visibles. Un reflet d’une tombe…

 

    Crac.

 

    Le masque qui tombe. La peur me pétrifia. Pieds enracinés. Mon corps ne me répondait plus. Le visage de l’inconnu à découvert. Une personne connue. Un air dévasté. Des traits tirés. Nerf à vif à fleur de peau. Les larmes couvraient son visage. Mon regard dans le sien. Je ne pouvais pas l’ignorer. Ni ignorer les événements passés.

 

    Non !

 

    Je ne devais pas me reperdre dans mes pensées. Pas comme dans la volière ce matin où j’ai attendu en vain. Pourquoi étais-je ici déjà ? Autour de moi une salle de classe. Un professeur. Personne ne devait voir cela. Personne ne devait reconnaitre le visage de la silhouette blessée, perdue, seule, sans repère, sans pilier, sans famille. La personnification de l’abandon. De la solitude. De perte de l’être cher de l’être aimé. De sa seule famille.

 

    Non !

 

    Personne ne devait savoir à qui appartenait ce visage qui me regardait. Qui me parlait avec les yeux. Qui voulait que le masque, mon masque tombe. Mais il ne devait pas tomber, pas maintenant. Je connaissais la formule. Je savais qui il était. Je devais le faire partir. Avant que ma sensibilité transperce encore plus ma carapace. Ce n’était qu’un test. Pas une réalité. Une peur. Une illusion. Beaucoup trop réaliste. C’était le moment de lui dire adieu ou au revoir.

 

    Geste calme et posé. Un coup de main. Le sort s’en est allé. Il a réussi à la toucher. Cette personne qui hante mes pensées. Cependant je restais figée. La silhouette elle se transformait. Un ballet de feuilles multicolores. Une valse de la nature. Une nouvelle illusion. Douce. Réconfortante. Plaisante. Qui s’envola vers l’armoire comme portées par une brise imaginaire.

 

    Portes fermées. Je repris mon souffle. Mon cœur ralentissait petit à petit. Ce weekend, l’absence de réponse et maintenant l’examen de cauchemar. Je m’empêchais de toutes mes forces de craquer. Je devais réussir mon diplôme pour aller le retrouver.

 

    Je me tournais vers le professeur. Quelque chose avait changé. Je m’étais renfermée. Encore un peu plus. Je me cachais. Cachais ma peine et ma colère ainsi que ma peur. Mes faiblesses.

 

    – Quelle sera la suite du programme professeur ?

 

    Une voix toujours calme. Très légèrement tremblante. Est-ce qu’il l’avait remarqué ? Est-ce qu’il avait reconnu cette silhouette ? Est-ce qu’il avait vu que cette personne perdue fragile et exposée n’était autre que mon reflet ?

Une rencontre cauchemardesque

    Casque. Musique. Les notes se jouaient. Les paroles retentissaient racontant leurs histoires, traduisant des émotions et sentiments. Je marchais tranquillement au rythme du son dans mes oreilles. Rentrant de la bibliothèque, pendant un instant je ne fis plus attention au chemin que j’empruntais me laissant emporter par la mélodie douce qui se jouait dans mon casque. Tandis qu’une nouvelle chanson débutait, je me rendis compte d’une chose.

 

    This is the story of a White Knight, coming back from a long adventure…

 

    Perdue. Toujours et encore. Tourner à droite ou à gauche. Je ne trouvais plus mon chemin. Je marchais cherchant à m’orienter dans cette école. Des escaliers. Un couloir. Des tableaux tout différents, mais si familiers. En cette période de vacances, pas un élève n’était là. Pas une personne qui pouvait m’aider. Je déambulais dans ce labyrinthe. Mais avais-je vraiment envie d’arriver tout de suite à destination ? Devant moi une porte ouverte sur une salle de cours. Un élève ou un professeur était sûrement là. Je toquais à la porte tout en m’avançant.

 

    – Excusez-moi de vous déranger je me suis un peu perdue et…

 

    It’s been a long long journey
    Through the hills and the valleys
    He’d been everywhere around the world
    Trying to find the one he loved
    He fought a dragon, a few mermaids 
    Back home again it was all vain
    And there were voices in the park 
    He saw the Black Witch in the dark

    Intriguée par le spectacle face à moi je ne finis point ma phrase. Un grand miroir recouvert dans cette pièce remplie de banc vide. Je m’approchais malgré moi de l’objet. Quelque chose m’attirait vers ce cadre recouvert. Je ne contrôlais plus vraiment mes gestes. Je posai ma main sur le voilà et le retirai doucement. Rien. Personne. Il n’y avait rien ni personne. Aucun reflet. Un miroir vide. Cela n’a point de sens…

 

    He did not dare to look her in the eyes, for he knew it wouldn’t be very wise. 
    And she said:

    Au moment de tourner les talons, une fumée noire s’en échappa. Mon cœur s’emballe. Les yeux grands ouverts. Je commençais à perdre mon calme et à trembler. Qu’est-ce que j’avais fait ? Je reculais. La fumée s’épaissit. Je reculais encore. Elle prit petit à petit la forme d’une silhouette. Arrêtée par un mur, je ne pouvais plus faire marche arrière. Une grande silhouette noire se dressait devant le miroir et s’avançait vers moi.

 

    Here comes the White Knight once again
    I thought thee were lost, or maybe dead
    But it’s a good news cause I feel a little weak
    I’m going to steal your color, before I go bleak

    You shall not resist, it is useless
    No one persists, when he’s been cursed
    I already enchanted the one you adored
    I turned Lady Léa into the Black Widow!

    Un long manteau noir. Un masque blanc. Un masque se fissurait doucement à mesure que la silhouette se rapprochait. Au moment où je remarque le sourire dessiné sur le masque, je compris. Un sourire sincère en contradiction avec des yeux tristes et ce masque qui se fissurait et saignait. Cette personne. Cette silhouette ressemblait trait pour trait à celles qui hantait cauchemar depuis toute petite. Une personne perdue, seule, blessée qui tente de tout cacher derrière un masque de bonne humeur. Mais dans ses yeux ternes se reflétait la mort d’un être cher. Et dans ses yeux ce jour-là, je pouvais voir une pierre. Une tombe avec dessus le nom de mon père. Je tremblais de toutes parts.

 

    He couldn’t believe his ears
    And now he knew the end was near
    If she had really cast a spell
    It could be broken, they could be well
    He understood the last fight was coming
    Whether he killed her, or would be fading forever

 

    Perdue. Je ne savais quoi faire. L’image de ma peur était face à moi. La personnification de la solitude, de l’abandon, de la tristesse et de la perte de mon père, ma seule famille, la personne qui comptait le plus pour moi. Démunie. Une larme coulait le long de ma joue tandis que le masque se fissurait encore plus. Je pouvais voir la chair abîmée sous les morceaux craquelés. La personne se trouvait maintenant juste devant moi. Son bras s’approchant de mon visage. J’étais figé.

 

    His head rose, he looked at the Witch in the eyes, and said:

 

    Soudain la musique dans mes oreilles. De l’espoir. Une motivation. Ces notes retentirent comme un déclic qui me sortit de ma torpeur. Prenant mon courage à deux mains, tel le chevalier blanc face à la sorcière noire, je pris ma stèle. Je savais qu’au fond de moi qu’une telle personne ne pouvait pas exister. L’armoire. La peur. Je devais tenter quelque chose avant de reperdre mes moyens. J’avais lu beaucoup de livres et je pensais maintenant savoir ce qui se trouvait en face de moi. Je levai donc ma stèle et…

 

    I have been everywhere, don’t you call me a fool
    I have killed many monsters and I stayed cool
    I may look very young in my pale uniform
    But I slept with a goddess, danced in a storm
    Whatever you may say I won’t listen to you

    Le sort était lancé. Rune dessinée dans les airs. Un geste de la main pour l’envoyer sur la créature. L’effet fut immédiat. Les fleurs de toutes les couleurs couvrirent la robe terne. Le masque abîmé prit la forme de ce que l’on trouve à Venise. Tout coloré. Un arc-en-ciel. C’était le festival des couleurs. Un sourire sur mon visage. La peur n’était plus là, l’amusement avait pris sa place. Je ne pus m’empêcher de rire à la vue de cette peur tourner au ridicule. L’ombre noire avait laissé place à personnage loufoque multicolore à la démarche improbable.

 

    You can try all you tricks, there’s nothing you can do
    And the color that your wear doesn’t make who you are
    You should have looked in detail while you stood in the dark
    Where you see white, I see a rainbow!
Murmurais je en même temps que le chanteur.

 

    La silhouette recula dans le miroir que je m’empressai de recouvrir. Un soupir de soulagement. Mon cœur ralenti. Le calme était de retour. Je sortis de cette pièce. À nouveau dans ce dédale de couloirs, je me jurai à moi-même d’être un peu moins curieuse à l’avenir et peut-être faire un peu plus attention à ne plus me perdre. En attendant, j’errais toujours quand devant moi un professeur fit son apparition. Je le rejoignis. Au moins, je n’étais plus perdue tout du moins pour l’instant.

 

Musique : The Knight and the Witch, PV Nova