Instinct Animal

    Une nouvelle. Une annonce. La perte d’un pilier fondateur. L’effondrement. Le renferment. Je m’étais isolée. Je ne voulais plus voir personne. Dans la forêt, je dormais, seule. Au plus proche de la nature. Loin du monde. Loin de la ville. Loin des personnes qui pourraient me voir, me juger.

 

    Dans ma bulle. Dans mes livres. Seule avec ma musique, mes souvenirs. Je me sentais moi dans cette nature qui me tendait les bras. Sans les autres, je m’exprimais sans mon masque. Sans ce filtre à sentiment. Je me laissais aller. Colère, peur, tristesse. Des sentiments qui se mêlaient. Que je laissais aller. Personne n’était là pour me les reprocher. Je les laissais donc sortir, eux que j’avais enterrés sans même le remarquer au début.

 

    Assise dans mon arbre, je me sentais protégée. La nature semblait m’appeler autant qu’elle m’apaisait et m’aidait. Je ne voulais plus la quitter. Ne faire qu’un avec elle. Ne plus penser à mes problèmes. Laisser cet animal en moi ressortir. Il était peut-être l’heure, le bon moment pour commencer cette formation. Ce long cheminement vers l’instinct animal. Ce domaine qui m’attirait. Une petite voix au fond de moi me poussait à sauter le pas.

 

    J’avais relu plusieurs fois le livre que j’avais, pour être sûre des différentes étapes. Pour pouvoir rassembler les ingrédients. J’avais quitté ma forêt pour aller les chercher. J’étais maintenant décidée à me laisser guider vers cet animal en moi. Mais, en attendant de le trouver. J’avais remis mon masque. Je ne voulais pas que les personnes que je croiserais soient témoins de ma sensibilité.

 

    Grâce à ce voile, je redevenais celle que j’étais à l’école des initiés. Ou plutôt celle que je voulais bien montrer. Dans le fond, derrière, j’avais toujours été cette petite fille timide, craintive, impulsive, curieuse et sensible qui pour plaire à son père se comportait en élève modèle. Cachant sa sensibilité ne montrant juste ce que les autres voulaient bien voir.

 

    Dans une petite boutique, j’avais acheté la poudre d’étoile et la fiole en cristal, avec les économies qui me restaient. J’en avais aussi profité pour faire quelques provisions. Puis, j’avais entrepris un nouveau voyage à la recherche des deux éléments manquants.

 

    Je tentais durant mon expédition de garder mon calme. Ne pas céder à l’impatience. Même si au fond de moi j’avais hâte. Hâte de me découvrir autrement. Et en parallèle, je profitais de tous les moments que je passais à chercher, qui j’étais au fond de moi. Me posant des questions. Curieuse de ce que je pourrais découvrir au bout du voyage.

 

    Un tour dans un continent voisin. Un peu de patience. Beaucoup de recherches. De questions posées aux habitants. Alors que je pensais ne pas réussir à la trouver avant un moment. Une fleur des montagnes à mes pieds. J’avais eu de la chance de la trouver si vite, à quelques jours de l’échéance. À quelques jours de cette nouvelle pleine lune.

 

    La magnifique aux nuances roses et violines maintenant dans une boite à l’intérieur de ma poche. Je devais maintenant trouver un endroit où me retrouver. Dans une nouvelle forêt, loin des habitations je m’étais installée, après avoir recueilli le dernier ingrédient. Le soir prochain je devrai être prête.

 

    Aucun nuage dans le ciel. La lune pleine dominait, haute au milieu des étoiles. Je sortis ma boite. Dedans, les éléments étaient rangés, n’attendant que d’être utilisés. Dans la fiole, je déposais un de mes cheveux arrachés à l’instant. Je versais ensuite, une cuillère de rosé recueillit le matin même dans cet endroit si reculé que l’homme était comme un intrus en son sein.

 

    Les pétales ajoutés ainsi que la poudre d’étoile, je fermai la fiole et la déposais au pied dans l’eau d’un lac proche de moi. Je m’écartais ensuite du lieu où le vent se faisait entendre et où la nature avait tous ses droits. À quelques mètres de là je me fis un petit abri. Un petit chez moi improvisé en attendant l’étoile qui allait tout changer.

 

    Je vivais au rythme du mouvement des astres. Me réveillant avec les premières lueurs du soleil. Me levant, stèle à la main. Pointée sur le bras. Dessin lent et précis. C’était devenu une habitude. Une sorte de rituel. Un nouveau battement rapide se faisait sentir. Dès le matin. Une sensation agréable.

 

    Une même habitude en regardant le coucher du soleil. Une nouvelle connexion avec l’animal en moi. Je pouvais comme la sentir. Les jours passaient. Seule dans la forêt je restais. Méditant. Lisant. M’entrainant. La musique m’accompagnant. Dream, mon cher moyen duc pour seule compagnie lorsqu’il ne partait pas se balader. Je lui avais rendu sa liberté. Mais il continuait de venir me voir. Comme s’il voulait m’apporter son soutien. Comme s’il ne voulait pas me laisser seule.

 

    Soudain, un soir. Au moment où j’allais m’endormir. À la belle étoile dans mon lit de feuilles comme chaque jour passé dans cette forêt. Les étoiles brillaient plus ce soir-là. Beaucoup plus que les soirs d’avant. Un bon pressentiment montait en moi.

 

    Je vis un éclair déchirer la toile céleste. Je n’attendis même pas un autre signe ou un quelconque signal. J’étais déjà debout, courant vers cet endroit où plusieurs semaines auparavant j’avais déposé ma fiole. Plusieurs semaines que j’attendais chaque jour l’étoile filante répétant la rune matin et soir. Je n’avais même pas osé m’écarter de trop de ce lac de peur de ne pas pouvoir le retrouver.

 

    J’étais restée dans cet endroit isolé. Me débrouillant par moi-même. M’occupant comme je le pouvais. À la fois impatiente et stressée. Je tentais de garder mon calme chaque jour passant en espérant que le suivant serait le bon. Perdant petit à petit la notion du temps. Je ne savais même pas quel jour on était. Tout ce que je savais c’était qu’il allait changer les choses.

 

    Sous la pleine lune et la nuit d’étoile, je plongeais mes mains dans l’eau pour en sortir la fiole. Je pris un instant pour la nettoyer du mieux que je pouvais avec le T-shirt abîmé duquel j’étais vêtu. N’ayant pas beaucoup de vêtements j’avais préféré garder mes costumes propres optant pour un simple T-shirt et un jean durant mon long séjour isolé du monde. Une fois sèche je l’admirais.

 

    Rouge. Rouge sang. Telle était la couleur actuelle de la potion. Je jetais un coup d’œil aux environs. L’espace me semblait en sécurité. Tout le long de mon attente, aucune ne trace d’une quelconque menace. Je bouchonnai doucement la fiole avant de la porter à mes lèvres. Je la finis d’une traite. Plus moyen de revenir en arrière. La transformation allait s’opérer. D’un côté je redoutais et d’un autre j’étais impatiente.

 

    Il ne me restait qu’une chose à faire. Stèle sur le cœur. Je répétais pour la énième fois et sûrement la dernière, les gestes du rituel. Ceux que j’effectuais à chaque lever et coucher du soleil depuis plusieurs semaines. Une grande inspiration. Beaucoup de concentration. Des traits précis sur la peau.

 

    Une vive douleur. Partout. Anesthésiant chaque fibre de mon corps. Me coupant le souffle sur l’instant. Je me repliais sur moi-même. Cherchant à oublier cette douleur. Elle faisait partie de la transformation. Mais elle était insupportable. Elle me paralysait. Mes pensées rivées sur elle, j’en oubliais le reste. Au fond de moi, je cherchais la force de passer outre. Me focalisant sur autre chose. Mon cœur.

 

    Ce dernier s’emballait. Comme s’il voulait sortir de ma poitrine. Sa cadence s’était accélérée d’un coup. Ma respiration le suivant. Je ne cherchais plus à comprendre. Je ne me posais plus de question. Mon esprit entièrement concentré sur ces changements qui s’opéraient.

 

    Dans ma tête une image. Douce. Réconfortante. Un petit animal roux. Un petit écureuil qui semblait me regarder. Attendre que je le rejoigne. Mon attention était sur lui. Le détaillant par la pensée. Tandis que mon corps douloureux lui bougeait et changeait malgré moi.

 

    Je ne le remarquais point, mais mes vêtements fusionnaient petit à petit avec ma peau pour se changer en poil. Le pelage s’étendait à partir de mon cœur. Comme une goutte d’encre qui s’étalait sur une feuille de papier. La fourrure rousse me recouvrait rapidement.

 

    Tout à coup, deux nouveaux sens sollicités en même temps. De manière vive. Brutale. Des odeurs de partout. Des bruits tout autour. Un mal de crâne qui s’intensifiait. L’odorat plus fin. Une odeur me prenait le nez. En parallèle, dans mes oreilles les sons se mêlaient. Tout se passait vite. Trop vite. Je n’avais le temps de prendre conscience qu’un nouveau changement prenait sa place.

 

    La douleur toujours présente. Je me sentais perdre l’équilibre. Me rapprocher dangereusement du sol. La transformation s’achevait de manière brutale. Mes membres se réduisaient presque en même temps de façon instantanée. Mon corps se modifiait de plus en plus. Je n’arrivais plus à suivre les étapes. Tout était flou. Intense. Rapide. Douloureux.

 

    Puis tout doucement. Tout redevenait calme. Paisible. Comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton marche/arrêt. J’ouvris doucement les yeux. Allongée sur le sol, je n’avais pas vraiment la notion du temps ou des événements. Seule la douleur restait comme souvenir.

 

    Je me redressais tranquillement. Pas de mouvement brusque. Je devais apprendre à utiliser cette nouvelle forme. Je me sentais bizarrement bien. À l’aise. Libre. Ce sentiment de liberté m’envahissait petit à petit. J’en oubliais les obstacles que j’avais traversés pour arriver jusqu’ici. Je n’avais qu’une envie. Courir.

 

    Je partis donc en direction de la forêt. Ce petit corps qui était maintenant le mien se mouvait malgré moi. Je souriais. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie tellement bien. Aussi moi tout simplement. Plus la peine de se cacher. Je pouvais maintenant vivre. Me libérer de ce masque en me transformant. En rejoignant ma forme animale.

 

    En grimpant dans un arbre, je fis un peu plus attention à mon nouveau corps. De petites griffes aux pattes. Un pelage roux. Je pris un peu plus conscience de ce en quoi je m’étais transformée. Mais je n’arrivais pas encore à le distinguer pleinement. Sur la branche, je me tournais plusieurs fois autour comme pour essayer de me détailler. Un écureuil. Le même que celui qui m’était apparu en même temps que la douleur.

 

    Douleur. Transformation. Lac. Stèle. Je l’avais oublié. Vite. Je courus à nouveau vers la source d’eau. J’entendais les sons de la nature de manière plus claire. Je sentais la douce odeur de l’herbe mouillée se mêler à d’autres que je n’arrivais pas à distinguer.

 

    Ce corps reflétait qui j’étais à l’intérieur. Je ne le savais pas encore, mais ce petit écureuil, ce changement, cette formation allait impacter ma vie. Plus que je ne l’aurais cru. Elle m’aidera à m’ouvrir. À m’évader lorsque le masque deviendrait trop pesant. Plus tard je comprendrai que ce petit être n’était autre que le moi que je cachais. Cette partie timide, craintive, furtive et sensible qui ne devait pas être découverte, mais qui se reflète une fois seule l’animal dans les pensées.

 

    Pour l’instant, une chose dominait mon esprit. Ou plutôt deux. La curiosité et la panique. Mais une fois à côté de ma stèle, cette dernière pensée s’envola. Je ne pus m’empêcher de me rapprocher du lac à petits pas. Cherchant mon reflet au milieu des ondes produites par les mouvements de l’eau à la surface. Je penchais la tête sur le côté. Une patte l’oreille. Je me grattais. Sourire figé. J’admirai cet animal qui n’était autre que moi.

 

    Avant de faire cheminement inverse, je fis de nouveau comme sur la branche un tour sur moi-même. Remarquant cette fois-ci une marque. Mon tatouage apparaissait sur mon pelage. Le petit oiseau en origami. Celui qui ornait mes côtes. Qui symbolisait pour moi la liberté. Le voilà maintenant gravé sur le petit rouquin.

 

    Je fermai les yeux. Repensant à qui j’étais. À mon corps humain. Le visualisant dans mon esprit. Quittant à regret l’animal. Pour le retrouver plus tard. Non pas plus tard. Bientôt. La transformation s’opéra doucement. Comme si une partie de moi voulait rester dans ce corps. Mais maintenant ma formation terminée, il me fallait rejoindre les hommes. Trouver un moyen d’avancer. Je n’étais plus vraiment seule. Le masque me pesait moins. J’avais maintenant un objectif, que je m’étais trouvée durant cette période solitaire dans ma bulle, dans la nature, à l’abri du monde et des autres.

 

    Mon but était de découvrir ce qui était arrivé à mon père et pourquoi ne pas trouver un emploi. Revenir doucement à la civilisation. M’ouvrir à nouveau, moi qui me suis renfermée ces derniers mois. Sans donner de nouvelles à personne. Être peut-être moi-même. Et qui sait laisser le masque de côté et vivre tout simplement. Et je savais qu’au fond de moi, cette formation, cet animal me guiderait et m’aiderait.

 

    J’avais retrouvé mon corps humain. Je me redressais difficilement. La fatigue me gagnait. Sous le ciel étoilé, je me tenais assise. Je tapotais doucement mon corps, vérifiant que rien n’avait été oublié lors du voyage retour. Non rien. J’attrapais ma stèle et je repartais vers mon abri de fortune. Dormir ou plutôt méditer sur les événements qui venaient de se passer. La suite ne dépendait plus que de moi. J’avais hâte de retrouver l’écureuil. Le sourire n’ayant pas quitté. Cela faisait du bien de sourire. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Mais je me sentais bien. Détendue.

 

    Enfin moi. Sans masque. Sans artifice pour une fois. Je savais que cela serait compliqué de revenir vers la civilisation. Mais peu importe. L’animal qui portait mon tatouage me guidera. Et comme j’ai laissé ma marque sur lui. Il m’avait laissé un souvenir de son passage. Ma chevelure abordait maintenant la même couleur que son pelage.

Jour 8 : Frêle

    Tu écoutes. Tu entends. Tu pleures. Tu ne sais comment réagir. Tu te renfermes. Tu te recrovilles sur toi-même. Tu tentes de calmer l’esprit. Mais les images défilent en son cœur. Les souvenirs tournent. Les mots retournent. Une scène se distingue. Un personnage mis en avant. Tu fermes les yeux pour mieux l’observer. Te concentrer sur lui quelques instants…

 

    Petit écureuil. Un simple petit mammifère rouquin. Il est allongé. Près de lui un instrument de musique. Un petit ukulélé. Ses cordes sont brisées. Il est bien abîmé. Tout comme le petit. Il a sûrement dû tomber. Il ne se réveille pas.

 

    Un enfant s’approche. Il est avec un adulte. Innocence prend l’animal dans les bras. Responsabilité lui récupère l’objet. Ils semblent paniqués. Ils courent. Comme s’il ne fallait pas perdre de temps. Comme si l’écureuil était essentiel à l’équilibre.

 

    Autour d’eux, les ombres gagnent du terrain. Elles grappillent tout sur leur passage. Elles attrapent toutes les personnes sur leur chemin. Elles grisent le monde coloré. Elles veulent, comme s’approcher du petit être assommé.

 

    La course se termine dans une petite maison isolée. Dans celle-ci, une jeune femme au beau chapeau au regard inquiet. Des petites fées, elles, volent dans tous les sens. Et un homme à la redingote reconnaissable reste dans son coin, comme tétanisé et perdu à la fois.

 

    Les fées aident Responsabilité à réparer l’instrument. Ils font de leur mieux. Même Passion, met la main à la patte en tentant de trembler un peu moins. Un doux mélange d’Émotions et de Passion, combinés avec un peu de Responsabilités. Le tout permettant de réparer le petit objet à corde non sans mal.

 

    De l’autre côté, la jeune femme et Innocence essayent de soigner le petit écureuil. Elle pose son chapeau sur la table pour que l’Amour berce le petit être. Innocence à son chevet et Sensibilité au-dessus de lui. Ils font leur maximum pour aider le petit à retrouver le chemin du réveil.

 

    Les ombres se rapprochent de la maison. Elles gagnent la porte. Elles l’englobent. Un œil ouvert. Elles s’avancent et attrapent une des fées. Un second œil. Elles ne s’arrêtent pas. Elles piègent les deux hommes. Un mouvement. Un son. Une lumière.

 

    Le petit s’est réveillé. Le petit vient de sauter sur son instrument. Le petit vient de jouer une note. Difficilement. Mais il vient de le faire. Il joue pour écarter les ombres. Il joue pour remettre de la lumière. Il joue pour colorer le monde. Et bientôt, quand il sera remis il jouera du haut de son arbre.

 

    Qu’obtient-on quand on mélange de l’amour, de la sensibilité et de l’innocence ? Un doux mélange permettant de réveiller l’Espoir qu’on pensait endormi.

 

    Tu relèves la tête. Les larmes toujours présentes. Mais tu souris à cette pensée. Même si l’écureuil est fragile tout comme son instrument, la musique de l’Espoir retentira toujours même si elle se fait plus faible parfois.

Cauchemar et Examen

    L’antre des messagers, il y a peu, je l’avais quittée

    Dans la file d’attente, je me tenais

    Un examen nous était annoncé

    J’essayais d’oublier les événements passés

    Je devais rester concentrée

    Autour de moi des visages que je connaissais

    Mais seule dans mon coin je restais

    Je ne devais pas leur parler

    Si je commençais à discuter

    Le masque tomberait

    Il était fragile

    Ne tenait qu’à un fil

 

    Une élève venait de sortir de la salle de classe devant laquelle j’attendais mon tour. Un visage familier. Une personne qui avait tenté de m’aider. Mais là ne devait pas se porter mon attention. Encore une personne et c’était mon tour. Sortant de ma rêverie, je franchis le seuil. Fermant la porte derrière moi, je m’avançais vers le professeur. À ses côtés une armoire.

 

    Un souvenir remontait avec une mélodie. Une sensation de déjà-vu. Et là dans les mots du professeur je compris. Je devais oublier mes problèmes. Me concentrer sur le test. Une première partie pas des plus simples. Mais j’étais concentrée. Motivée. C’était juste un mauvais moment à passer. Stèle levée. J’étais prête…

 

    Ou pas.

 

    Un miroir. Un nuage noir. Une forme devant moi. Cette fois-ci aucune mélodie pour m’aider. J’étais seule face à cette silhouette masquée. Toute de noir vêtue. L’objet blanc. Immaculé. Sur le visage, le cachant. Le protégeant. Mes yeux, eux, étaient visibles. Un reflet d’une tombe…

 

    Crac.

 

    Le masque qui tombe. La peur me pétrifia. Pieds enracinés. Mon corps ne me répondait plus. Le visage de l’inconnu à découvert. Une personne connue. Un air dévasté. Des traits tirés. Nerf à vif à fleur de peau. Les larmes couvraient son visage. Mon regard dans le sien. Je ne pouvais pas l’ignorer. Ni ignorer les événements passés.

 

    Non !

 

    Je ne devais pas me reperdre dans mes pensées. Pas comme dans la volière ce matin où j’ai attendu en vain. Pourquoi étais-je ici déjà ? Autour de moi une salle de classe. Un professeur. Personne ne devait voir cela. Personne ne devait reconnaitre le visage de la silhouette blessée, perdue, seule, sans repère, sans pilier, sans famille. La personnification de l’abandon. De la solitude. De perte de l’être cher de l’être aimé. De sa seule famille.

 

    Non !

 

    Personne ne devait savoir à qui appartenait ce visage qui me regardait. Qui me parlait avec les yeux. Qui voulait que le masque, mon masque tombe. Mais il ne devait pas tomber, pas maintenant. Je connaissais la formule. Je savais qui il était. Je devais le faire partir. Avant que ma sensibilité transperce encore plus ma carapace. Ce n’était qu’un test. Pas une réalité. Une peur. Une illusion. Beaucoup trop réaliste. C’était le moment de lui dire adieu ou au revoir.

 

    Geste calme et posé. Un coup de main. Le sort s’en est allé. Il a réussi à la toucher. Cette personne qui hante mes pensées. Cependant je restais figée. La silhouette elle se transformait. Un ballet de feuilles multicolores. Une valse de la nature. Une nouvelle illusion. Douce. Réconfortante. Plaisante. Qui s’envola vers l’armoire comme portées par une brise imaginaire.

 

    Portes fermées. Je repris mon souffle. Mon cœur ralentissait petit à petit. Ce weekend, l’absence de réponse et maintenant l’examen de cauchemar. Je m’empêchais de toutes mes forces de craquer. Je devais réussir mon diplôme pour aller le retrouver.

 

    Je me tournais vers le professeur. Quelque chose avait changé. Je m’étais renfermée. Encore un peu plus. Je me cachais. Cachais ma peine et ma colère ainsi que ma peur. Mes faiblesses.

 

    – Quelle sera la suite du programme professeur ?

 

    Une voix toujours calme. Très légèrement tremblante. Est-ce qu’il l’avait remarqué ? Est-ce qu’il avait reconnu cette silhouette ? Est-ce qu’il avait vu que cette personne perdue fragile et exposée n’était autre que mon reflet ?

Une rencontre cauchemardesque

    Casque. Musique. Les notes se jouaient. Les paroles retentissaient racontant leurs histoires, traduisant des émotions et sentiments. Je marchais tranquillement au rythme du son dans mes oreilles. Rentrant de la bibliothèque, pendant un instant je ne fis plus attention au chemin que j’empruntais me laissant emporter par la mélodie douce qui se jouait dans mon casque. Tandis qu’une nouvelle chanson débutait, je me rendis compte d’une chose.

 

    This is the story of a White Knight, coming back from a long adventure…

 

    Perdue. Toujours et encore. Tourner à droite ou à gauche. Je ne trouvais plus mon chemin. Je marchais cherchant à m’orienter dans cette école. Des escaliers. Un couloir. Des tableaux tout différents, mais si familiers. En cette période de vacances, pas un élève n’était là. Pas une personne qui pouvait m’aider. Je déambulais dans ce labyrinthe. Mais avais-je vraiment envie d’arriver tout de suite à destination ? Devant moi une porte ouverte sur une salle de cours. Un élève ou un professeur était sûrement là. Je toquais à la porte tout en m’avançant.

 

    – Excusez-moi de vous déranger je me suis un peu perdue et…

 

    It’s been a long long journey
    Through the hills and the valleys
    He’d been everywhere around the world
    Trying to find the one he loved
    He fought a dragon, a few mermaids 
    Back home again it was all vain
    And there were voices in the park 
    He saw the Black Witch in the dark

    Intriguée par le spectacle face à moi je ne finis point ma phrase. Un grand miroir recouvert dans cette pièce remplie de banc vide. Je m’approchais malgré moi de l’objet. Quelque chose m’attirait vers ce cadre recouvert. Je ne contrôlais plus vraiment mes gestes. Je posai ma main sur le voilà et le retirai doucement. Rien. Personne. Il n’y avait rien ni personne. Aucun reflet. Un miroir vide. Cela n’a point de sens…

 

    He did not dare to look her in the eyes, for he knew it wouldn’t be very wise. 
    And she said:

    Au moment de tourner les talons, une fumée noire s’en échappa. Mon cœur s’emballe. Les yeux grands ouverts. Je commençais à perdre mon calme et à trembler. Qu’est-ce que j’avais fait ? Je reculais. La fumée s’épaissit. Je reculais encore. Elle prit petit à petit la forme d’une silhouette. Arrêtée par un mur, je ne pouvais plus faire marche arrière. Une grande silhouette noire se dressait devant le miroir et s’avançait vers moi.

 

    Here comes the White Knight once again
    I thought thee were lost, or maybe dead
    But it’s a good news cause I feel a little weak
    I’m going to steal your color, before I go bleak

    You shall not resist, it is useless
    No one persists, when he’s been cursed
    I already enchanted the one you adored
    I turned Lady Léa into the Black Widow!

    Un long manteau noir. Un masque blanc. Un masque se fissurait doucement à mesure que la silhouette se rapprochait. Au moment où je remarque le sourire dessiné sur le masque, je compris. Un sourire sincère en contradiction avec des yeux tristes et ce masque qui se fissurait et saignait. Cette personne. Cette silhouette ressemblait trait pour trait à celles qui hantait cauchemar depuis toute petite. Une personne perdue, seule, blessée qui tente de tout cacher derrière un masque de bonne humeur. Mais dans ses yeux ternes se reflétait la mort d’un être cher. Et dans ses yeux ce jour-là, je pouvais voir une pierre. Une tombe avec dessus le nom de mon père. Je tremblais de toutes parts.

 

    He couldn’t believe his ears
    And now he knew the end was near
    If she had really cast a spell
    It could be broken, they could be well
    He understood the last fight was coming
    Whether he killed her, or would be fading forever

 

    Perdue. Je ne savais quoi faire. L’image de ma peur était face à moi. La personnification de la solitude, de l’abandon, de la tristesse et de la perte de mon père, ma seule famille, la personne qui comptait le plus pour moi. Démunie. Une larme coulait le long de ma joue tandis que le masque se fissurait encore plus. Je pouvais voir la chair abîmée sous les morceaux craquelés. La personne se trouvait maintenant juste devant moi. Son bras s’approchant de mon visage. J’étais figé.

 

    His head rose, he looked at the Witch in the eyes, and said:

 

    Soudain la musique dans mes oreilles. De l’espoir. Une motivation. Ces notes retentirent comme un déclic qui me sortit de ma torpeur. Prenant mon courage à deux mains, tel le chevalier blanc face à la sorcière noire, je pris ma stèle. Je savais qu’au fond de moi qu’une telle personne ne pouvait pas exister. L’armoire. La peur. Je devais tenter quelque chose avant de reperdre mes moyens. J’avais lu beaucoup de livres et je pensais maintenant savoir ce qui se trouvait en face de moi. Je levai donc ma stèle et…

 

    I have been everywhere, don’t you call me a fool
    I have killed many monsters and I stayed cool
    I may look very young in my pale uniform
    But I slept with a goddess, danced in a storm
    Whatever you may say I won’t listen to you

    Le sort était lancé. Rune dessinée dans les airs. Un geste de la main pour l’envoyer sur la créature. L’effet fut immédiat. Les fleurs de toutes les couleurs couvrirent la robe terne. Le masque abîmé prit la forme de ce que l’on trouve à Venise. Tout coloré. Un arc-en-ciel. C’était le festival des couleurs. Un sourire sur mon visage. La peur n’était plus là, l’amusement avait pris sa place. Je ne pus m’empêcher de rire à la vue de cette peur tourner au ridicule. L’ombre noire avait laissé place à personnage loufoque multicolore à la démarche improbable.

 

    You can try all you tricks, there’s nothing you can do
    And the color that your wear doesn’t make who you are
    You should have looked in detail while you stood in the dark
    Where you see white, I see a rainbow!
Murmurais je en même temps que le chanteur.

 

    La silhouette recula dans le miroir que je m’empressai de recouvrir. Un soupir de soulagement. Mon cœur ralenti. Le calme était de retour. Je sortis de cette pièce. À nouveau dans ce dédale de couloirs, je me jurai à moi-même d’être un peu moins curieuse à l’avenir et peut-être faire un peu plus attention à ne plus me perdre. En attendant, j’errais toujours quand devant moi un professeur fit son apparition. Je le rejoignis. Au moins, je n’étais plus perdue tout du moins pour l’instant.

 

Musique : The Knight and the Witch, PV Nova