Peluche ou Guimauve ?
Feu de cheminée. Quelques décorations. Un repas bien entamé. Trop grande était la ration. Réveillon en solitaire. Commençant à avoir l’habitude. Une nouvelle fête sans le père. Moment de solitude. Sans famille proche. Un nouveau Noël, isolée. Le temps faisait son effet. Je ne craquais plus. Ou du moins je me retenais. Vacances à l’école où j’étais gardienne, souvenirs de dernière année. Dans la cabane, réfugiée, j’observais, par la fenêtre, les jeunes se balader. Tandis que je m’apprêtais à sortir, pour digérer.
Gardien de la forêt en action. Écureuil bondissant d’arbre en buisson. Manquant de glisser quelques fois sur les branches gelées, des êtres ayant perdu leurs attraits familiers. Le vert de la nature remplacé par le blanc de l’hiver. Je commençais à prendre mes marques. Dans ce labyrinthe où chaque recoin se ressemblait. Je mémorisais les détails qui transparaissaient. Mais avec cette couverture de neige, le tableau se modifiait. Chaque détail qui semblait acquis ne l’était plus.
Et dans ce joli paysage, je me perdis. Malgré mon pelage, le froid me saisit. J’avais du mal à avancer. Pourquoi avais-je quitté mon nid douillet ? Fragile, je me sentais vaciller. Pas lourd. Difficile d’avancer. Sur une branche plus massive, je voulus me poser. Reprendre mon souffle, quelques instants. Je sautais. Visant mon objectif. Visualisant mon but. Griffes touchant l’écorce. Pattes glissant, amorce. Chute non prévue. Frigorifiée. Pas le temps de me retransformer. Une seule pensée. Un buisson. Un tas de neige pour me sauver.
Un choc. Monde tournant. Tout vêtu de blanc. Seule couleur dominante. Avant que le noir prône. Marque sombre. Roi sur son trône. Perte de connaissance. Une absence. Des souvenirs oubliés. Des pensées embrumées.
Douce odeur. Chatouillant mes narines. Une sensation de chaleur. Réchauffant mon cœur. Mon corps glacé, toujours engourdi. J’ouvris lentement les yeux. Lumière des premiers rayons du soleil. Légèrement visible au travers de la paupière mi-close. Vision quelque peu perturbée. Un peu floutée. Adaptation au changement rapide. Conséquences de la chute imprévisible. Plafond au-dessus de moi. Où était passé le ciel de la dernière fois ?
Tête lourde. Corps las. Difficile de se redresser. Regard toujours affecté. Droite puis gauche. Je ne connaissais en rien ce lieu. Chambre d’enfant au premier abord. Souvenir d’autrefois remontant. Une maison de bois dans un coin. Ce qui ressemblait à des peluches dans un autre. Un simple bureau, près d’une fenêtre. Qui éclairait la pièce. Une douce harmonie se dégageant. Dans les couleurs, dans la disposition tout semblait familier et différent à la fois.
Tu ne peux rien voir. Une mise au point s’impose. Tu ne peux la faire. Cette pièce tu connais le propriétaire. Des jouets familiers. Tu ne peux le remarquer. La photographie d’un père et sa fille. Coïncidence. Pour toi tout restera abstrait. Et moi petite voix. C’est là la dernière fois que tu m’entendras.
Je levais une main à mon visage. Frotter les yeux pour être sûre de bien voir. Ne pas rêver. Quand soudain une drôle de vérité apparut. Les doigts longs et fins n’étaient plus. A leur place un amas de tissus. Une forme marron et blanche. Une séparation par un fil de trois bouts liés. Phalanges collées. Mouvement de main impossible. Mais qu’avais-je dessus ? Je voulus ouvrir la bouche. Attraper entre mes dents ce qui pouvait être un vêtement. Cependant un problème se posa. Impossible. Comme si les lèvres étaient cousues main.
Un mauvais pressentiment. La panique montant. Je tentais de me lever. Déséquilibre amorcé. Écroulement sur l’oreiller. Oreiller ? Il faisait ma taille. Quelle était donc cette sorcellerie ? Un nouvel essai un peu plus maîtrisé. Ou du moins je le croyais. Mouvement de balancier. Glisser. Rouler. Tomber. Me voici sur un… tapis. Je n’étais plus sûre de bien nommer les objets. La notion de taille non respectée. Les détails absents, vision déficiente.
Je n’avais pas eu mal. Étrange. Chute de deux fois ma taille. Comme si le choc avait été amorti. Comme si…
Tout à coup, quelque chose m’attrapa. Me saisit. Me porta. Le sol s’éloignait. Je tentais de me débattre. Autant que je le pouvais sous cette apparence de… Je ne savais même pas à quoi je ressemblais. Ce qui était certain. Pas d’animal. Pas d’humain. Forme imprécise. Inconnue des livres sur les vivants. Nouvelle espèce peut-être.
– Mais pourquoi tu bouges nounours ?
Petite voix anonyme. Appartenant à ce qui me tenait. Ou plutôt ce qui me déposait. Je pouvais enfin voir ce qui était… Ou plutôt qui était-ce ? Une jeune fille. Cheveux couleur nuit. Deux émeraudes brillantes. Curiosité visible. Innocence de l’enfance. Un sourire aux lèvres. Je ne compris point sur l’instant. Jusqu’à ce qu’en me retournant. Sur ce bureau. Face à un miroir, je me retrouvai. Et là, mon monde bascula. Je n’en revenais pas.
– Dis nounours ? Tu sais parler aussi ?
Tournant. Encore et encore. Je ne l’écoutais plus. À quatre pattes, j’étais stable. Maintenant je comprenais. Dans un corps de doudou. D’ourson blanc j’avais atterri. Par je ne sais quel enchantement. Un museau. Une bouche cousue d’un simple fil noir. Je ne pouvais dire un mot. Léger déséquilibre à présent compréhensible. Rembourrage par endroit manquant à l’appel. Il semblait avoir du vécu ce petit ours polaire.
De nouveau face à l’enfant. Je levais les pattes en guise de réponse. Avant de tomber. Je n’allais donc jamais m’habituer. Petite chute vers l’arrière. Atterrissage sur le postérieur de coton. Assise. Regard vers la jeune fille. Un mouvement de droite à gauche de la tête. Signe universel. Espérant que la petite comprenne. J’étais bloquée. Je ne savais quoi faire. Elle, seule, pouvait m’aider. Ne semblant pas méchante. Ne voulant visible pas me faire de mal. Une main s’avançant vers ma tête. Tapotée par deux fois. Compassion marquée.
– Oh… C’est triste. Pourquoi tu bouges que maintenant ? Dis ? Tu veux jouer avec m… Mais il fait quoi l’oiseau ?
Regard vers la fenêtre. Oiseau posé. Attendant pour entrer. Une autorisation demandée. Émeraude me quitta un instant. Curieuse de voir ce que l’oiseau. Enfin le moyen duc lui voulait. Un rapide échange. Attendrissant. Enfant et oiseau. Un dialogue. Elle parlait aux animaux comme elle parlait à ses peluches. Plus qu’aux humains il semblerait. Une voix douce. Des mots gentils. Une caresse. Un merci. Avant de revenir me voir. Lettre à la main. Un sceau la scellant. Une cloche et… Je ne pus point détailler plus. Elle l’ouvrit sans attendre. Impatience de la jeunesse.
– Nounours on dirait que c’est pour toi. Tu t’appelles Max ? C’est drôle moi aussi !
J’ouvris de grands yeux ronds. Enfin mes yeux cousus l’étaient déjà. Difficile d’avoir un visage expressif sous la forme de peluche. Je me contentais de hocher la tête. Max donc. Drôle de coïncidence. Sur ce point, je rejoignais la petite. Mêmes cheveux. Mêmes yeux. Même prénom. Un peu trop de similitude. J’avais l’impression de me voir. Encore insouciante. Et cette pièce… Il me semblait déjà la connaitre.
– En fait c’est le papa Noël, il veut qu’on trouve une étoile. Il dit qu’elle nous guidera vers lui. Et qu’après il y aura un miracle de Noël.
Aux premiers mots je crus à une blague. Je devais rêver. Seule solution envisageable. Si on reprenait. J’étais dans un lieu inconnu. Quoiqu’un peu familier. Avec une petite fille un peu trop réveillée et innocente. Dans un corps qui n’était pas le mien. Et une lettre d’un soi-disant père Noël nous parlait d’étoile et de miracle. Tout allait pour le mieux. Et pourtant même si cela ressemblait à un rêve, les sensations, tout semblait bien réel. Au point que je finis par croire doucement à cette histoire. Je n’avais pas beaucoup d’options. Je n’allais pas rester ourson.
– C’est trop bien ! Une enquête de Noël ! Vite, je sais où trouver une étoile. D’habitude on la met en haut du sapin. Mais cette année papa ne voulait pas le faire. Elle doit être dans le grenier. Aller vient avec moi.
Je ne pus protester. Par manque de temps, certes. Mais surtout par manque de force. Embarquée contre mon gré sous le bras, d’une petite en pyjama. Courant à travers la maison. Habitation qui semblait vide. Jusqu’à ce qu’une silhouette dans un bureau soit, au détour d’un couloir, visible. Une voix masculine réclamant le calme. Max ralentissant le rythme. Me mimant de ne pas faire de bruit. Loin de moi une telle idée. Je ne pouvais rien faire. Elle me retenait.
Devant l’échelle menant au grenier. Sur son épaule, elle me fit basculer. Je comprenais maintenant ce que pouvait ressentir mon propre doudou. À être baladé. Trimbalé. Un peu partout. Dans tous les sens. Si je sortais vivante de cette aventure, je promettais de faire plus attention à mes jouets. Je ne pus promettre plus déjà dans au sommet de la maison. Dans la pièce la plus haute. La plus sombre. Max me laissa tomber sur le côté cherchant un moyen de nous éclairer.
De mon côté, je tentais de me redresser. Vie de peluche difficile. Déséquilibre, mouvements imprévisibles. Après quelques essais, je réussis à retourner sur mes pattes. Émeraude toujours en quête de lumière. J’allais enfin pouvoir l’aider. Pas lent et incertain. Crainte de la chute à chaque changement. Rembourrage nécessaire. Pauvre petit ours polaire. Soudain, je trébuchais sur quelque chose presque aussi grande que moi. Une lampe torche de non-initié sur le sol. Je la détaillais comme je pouvais. Et tentais tant bien que mal d’appuyer sur le bouton. Arriverais-je à maîtriser ce corps des plus instables ?
Finalement Max me remarqua. Et fit ce que je n’arrivais pas. Éclairant ainsi la pièce. Illuminant cet antre des souvenirs. Remarquant une caisse, enfin plutôt un carton, non loin, je m’avançais d’un pas hésitant. Une guirlande s’échappant d’un côté. Je tentais d’y grimper. Courage petit ours. Tu vas y arriver. Voilà ce que je me répétais. Poussée par une petite main qui voulait simplement m’aider. Je tombais au milieu des boules et des lumières. Décorations de fêtes. Qui devraient être de sorties en cette pério…
– Oupss nounours Max. Attends je t’aide.
Réflexions interrompues. Patte arrière attrapée. J’eus tout juste le temps de m’accrocher à une boite au fond de la boite. Essayant de l’agripper comme je pouvais. Elle glissait. Pas de prise. Pas d’accroche. Ces membres empêchant les mouvements de préhension. Je n’en pouvais déjà plus. Je voulais plus que tout revenir à mon état normal. Heureusement que Max était là. De nouveau dans ses bras j’étais aux premières loges. La regardant ouvrir la boite.
– Tu es le meilleur. Du premier coup !
Je sentais le piège arriver. Se refermer doucement. À mesure que l’étoile se découvrait. Elle était magnifique. Brillante autant que les yeux émerveillés de l’enfant. Qui approcha sa main d’elle pour la prendre. Mon instinct me hurla de partir. Je me débattis. Hypnotisée par l’objet. Elle ne remarqua rien. Ses doigts l’effleurèrent. Simplement.
Nausée. Vomissement. Vertige. Sensation plus que désagréable. Si je n’étais pas déjà de couleur blanche, j’aurais blanchi encore plus. Au point de pouvoir me camoufler dans l’immensité enneigée. De la neige ? Où étions-nous ? Nous ? Max ? Où était la peti…
– Nounours j’ai froid. On est où ? Tu crois c’est la maison du papa noël là-bas ?
Je la sens me serrer encore plus contre elle. Je ne pouvais malheureusement pas lui répondre. J’étais simplement contente qu’elle soit là. Mais en même temps inquiète. Et si des dangers nous attendaient. Et si ce qui semblait être un objet enchanté nous avait amenés droit dans un piège. Je m’en voudrais affreusement qu’il lui arrive quelque chose. Elle était si douce. Si gentille. Si attendrissante et adorable. Une enfant tout simplement. Elle ne méritait pas qu’il lui arrive malheur. Et pourtant alors que je culpabilisais du chalet, elle s’était rapprochée. À la porte, elle venait de toquer. Elle tremblait. Je ne pouvais absolument rien faire. Simplement observer. Me sentant inutile. Doudou fragile.
– Qui es-tu petite fille ? Que viens-tu faire chez moi ? Je suis fatigué.
– Je m’appelle Max et le papa Noël voulait qu’on touche une étoile. Et pouf on est ici. Il fait très froid.
– On ? Mais tu es seule. Qui t’accompagne ?
– Bah nounours Max ! Le papa Noël, il a parlé d’un miracle. Mon ourson il bouge !
– Entre donc ma petite. Je vais voir ce que je peux faire pour ton ami de tissu. Je m’appelle Santa.
– Elle m’avait tendu à l’homme barbu. Je tremblais de peur. Je ne savais pas ce qui allait m’arriver. Quand le nom de l’individu se fit entendre. Comme par magie. La crainte s’envola. Santa ? Santa Claus ? Père Noël ? Ce n’était pas possible. C’était des contes. Des légendes pour les enfants qui voulaient croire et rêver. Cela ne pouvait être réalité. Et comme si l’homme des mythes pouvait lire dans mes pensées. Une fois sur la table je fus déposée. Il se plaça face à moi. Et fit entendre sa voix. Max timide près de la cheminée. Elle cherchait à se réchauffer.
– Ne t’en fais pas Maximilia Bénédicte. Oui je connais ton prénom. Je sais qui tu es. Laisse-moi te libérer. Je crois que tu as maintenant assez pour tes réflexions. Fais attention à toi. N’oublie pas tout du passé.
Je ne compris pas ses mots. Pas leur sens. Trop occupée. Cerveau bloqué sur la première phrase. Une identité révélée. Des plus exactes. Et tandis que je me perdais dans mes pensées. L’homme marmonnait dans sa barbe. Je me sentis tout à coup fatiguée. Le monde tournait. Mes pattes ne me supportaient plus. Je glissais. Tombais à nouveau. Une petite voix. Une main derrière ma tête. Un bisou sur le museau. Sensation petit à petit disparaissant. Noir total.
Froid. Joue. Réveil. Par un petit animal. Un rouquin ayant posé son museau sur mon visage. Lieu familier. Mon chez-moi. Près de la forêt. Premier réflexe me lever. M’analyser. M’observer. Vérifier que tout soit à sa bonne place. Tête légèrement vacillante. Mais tout semblait en ordre. La petite fille était donc un rêve ? Cela m’a paru bien réel pourtant. Je ne savais quoi en penser.
Je me tournais vers mon ami à quatre pattes. Lui souriant. Remarquant près de lui une lettre. Un sceau étrange. Me rappelant quelque chose. Un cloche et homme de pain d’épice. Où l’avais-je déjà vu ? J’avais du mal à me souvenir. Esprit encore perturbé. J’ouvris délicatement l’enveloppe. Lisant le mot inscrit. Le murmurant. Partageant l’information avec la boule de poils. La reposant par la suite sur le côté. Avant de caresser en souriant la tête du petit mammifère.
Les miracles n’existaient peut-être pas
Mais la magie de Noël était bien là.
La mystérieuse lettre :
Chère inconnue,
En revenant du travail, je me suis égaré près de la forêt. Celle que vous appelez interdite à l’école. De là un petit écureuil m’est apparu. Il me semblait qu’ils hibernaient en cette période de l’année. Mais celui-ci semblait bien vif. Et un peu paniqué. Sans savoir pourquoi je l’ai suivi goût de l’aventure.
Il m’a amené jusqu’à vous. Ou plutôt jusqu’à un de ses confrères. Jusqu’à ce que je remarque une sorte de tatouage. Une chance que je ne quitte jamais ma stèle. Une petite rune, vous m’excuserez, pour voir devant moi une jeune femme étendue. Complètement prise par le froid.
Je suivis de nouveau le petit être à travers la forêt jusqu’à une cabane à la lisière de celle-ci. J’y entrais et vous déposais sur le lit. J’ai pris la peine de relancer le feu et vous apporter quelques runes de soins avant de reprendre mon chemin. J’espère que vous vous portez bien.
Remerciez le petit.
Ne me remerciez pas.
Joyeux Noël à vous
Un père Noël qui passait par là