Rêve ou Réalité ?

    Les vacances. Ou plutôt un simple weekend. Hors du temps. Hors du travail. Loin des responsabilités. Mais aussi loin de mon chez-moi, de mon chalet. Je prendrais le temps de rentrer dans mon petit nid douillet canadien lorsque le séjour sera plus long. Et puis je n’avais pas vraiment la tête aux transports. Encore et toujours des gens. Je préférais rester à m’évader dans les environs. Enfin, j’avais quand même dû prendre train et avion pour aller me perdre dans la forêt Islandaise.

 

    Deux jours. Une nuit. Seule. Un besoin d’air frais. Dans la nature perdue de cette île. Dans la nature je me détendais. Hors du bruit de la civilisation. Dans ce pays que je n’avais visité qu’une fois. J’avais besoin d’un break. Mais je ne pouvais pas me permettre de m’absente trop longtemps surtout en période de cours. J’espérais pouvoir retrouver mon chemin.

 

    Un simple weekend organisé en début de semaine. Une jeune amie que j’apprécie beaucoup. En qui j’avais toute confiance, s’occupait de ma ménagerie. Je lui avais confié mes clés. La douce Aurore était vraiment adorable. Elle avait toute de suite accepté quand je lui avais demandé. Je ne savais d’ailleurs toujours pas comment j’allais la remercier de jouer les baby-sitters. Enfin je lui avais juste spécifié qu’il fallait sortir le duo infernal et que les autres faisaient un peu leur vie. Surtout les volatiles et les deux petits. Une seule condition posée par la jeune fille : pouvoir rester travailler dans la cabane. J’avais souri et approuvé. Même si je me demandais comment elle allait pouvoir se concentrer avec tout ce petit monde. Petite pensée pour elle, avant de partir le cœur plus léger vers ces nouvelles contrées.

 

    Écureuil gambadant. Je m’enfonçais toujours un peu plus. J’allais vers les coins les plus reculés. Sans savoir quel chemin emprunter. Cette forêt semblait cacher mille et un secrets. Je n’avais que deux petits jours. Je devais en profiter. Je courrais à en perdre haleine. Je courrais à en perdre la raison. Ne plus penser. Ne plus réfléchir. Laisser ces pattes me guider. Laisser ce petit corps vivre. Ne serait-ce qu’un moment, qu’un instant hors du temps.

 

    Fermons le livre.

    Posons la plume.

    Respirons.

    Inspiration.

    Expiration.

 

    Une feuille volatile. Des mots plus légers. Les voilà qui se dessinent sur les lignes de mes pensées. Les soucis effacés. Dans la cabane, laissée. Les problèmes oubliés. Dans la maison, restés. Juste un bref répit. Un instant par ici. Apprenez-moi à rêver de nouveau. Aidez-moi à me ressourcer. J’avais besoin de repos. Retrouver un sens à mes pensées. 

 

    J’avançais sans but. Pour le simple plaisir, de voir défiler autour de moi la nature dans son immensité. Pour le moment, je ne prenais pas le temps de l’observer dans le détail. M’éloignant de plus en plus de la ville. M’isolant encore et encore. Seule, cela faisait longtemps que je ne l’avais pas été réellement. Même si je savais que dans le ciel, un animal veillait toujours sur moi à distance. Il ne me lâchait pas. Même quand je lui avais rendu sa liberté. Il ne m’avait jamais abandonné. Un animal parfois plus compréhensif que certains humains. Et je ne doutais en rien de sa capacité à me comprendre. Comme Zip, petit écureuil malin, il savait quand cela n’allait pas. Mais il ne pouvait pas toujours être là. Peut-être me suivait-il. Peut-être était-il là-bas. Je ne savais pas. Je n’y pensais pas.

 

    D’un coup, je grimpais dans un arbre. Reprendre mon souffle sur une branche. Je pris alors la peine de détailler les environs. Analysant chaque buisson. Cherchant à deviner quel animal pouvait s’y cacher. Quelle créature n’avait pas remarqué ma présence. Certes sous cette forme, je passais inaperçue. Mais certains n’étaient pas dupes. L’odeur sûrement différente me trahissait. Un humain ne sera jamais complètement animal. Même si dans le fond nous étions des animaux. Pas les plus évolués sur Terre. Beaucoup diront le contraire. Cependant, chaque jour de nouvelles découvertes. Demain, peut-être, une intelligence supérieure. Cela fait peut-être un peu peur. Mais je n’aimais pas ce statut privilégié que se donnaient les hommes. Au-dessus de tout et de tous. Pourquoi ne pas marcher main dans la main au lieu de jouer au dominant dominé ?

 

    En parlant d’être vivant, le prince de la forêt venait de faire son apparition. Un mélange de plumage et de pelage. Un blanc étincelant. Hypnotisant. De loin je l’admirais. Il semblait jeune. Mais il s’imposait. Se reposait près d’un arbre. Par politesse, je grimpais un peu plus haut sur le mien. Se rapprocher sans déranger. Juste le toucher du regard d’un peu plus près, cet être au croisement de deux espèces. Hybride de la nature. Mythe chez les non initiés. Mais les mythes n’avaient-ils pas leur part de vérité ? L’histoire d’un Minotaure, d’un cerbère ou d’une fée ? Des animaux fantastiques et créatures magiques. Dans le monde initié, on pouvait les retrouver. Mais le secret de leur existence, empêchant les non-initiés de les étudier. Il était intéressant de noter que la cryptozoologie s’intéressait à ses espèces sans pouvoir prouver leur existence. Une science aux allures de zoologie magique. Malheureusement, rien ne pouvait être démontré et certains de ces savants passaient leur vie à chercher. À juste espérer pouvoir un jour comme moi s’approcher, d’une créature des contes de leur passé.

 

    Le jeune péritio semblait dormir. Allongé. Seul. Je tentais de faire le moins de bruit possible lorsqu’au-dessus de son arbre j’arrivais. Petits pas. Petits pas. Juste des petits pas. Discrétion. Ne pas tomber. Juste profiter de cet instant privilégié. Une couleur attira alors mon regard. Un volatile qui se posa à deux trois branches de là. Une seconde déconcentrée, je faillis chuter. Se rattraper au dernier moment. Se retenir de sortir un son de protestation. L’être volant était loin d’être un oiseau. Un petit ingénu qui se rapprochait de moi. Fée maline égarée. Sûrement échappée d’un repaire ou alors a-t-elle voulu respirer un autre air. Pauvre petit écureuil qui peinait un peu à remonter sur sa branche. Peu de prises à disposition. Mon regard croisa le sien. Non elle n’allait pas oser. Pas maintenant. S’il vous plait.

 

    Elle était beaucoup trop près. Qu’allait-elle faire ? Ne pas m’aider j’en avais bien peur. Elle tournait autour de moi. Je n’osais plus bouger. Elle n’était pas beaucoup plus petite que l’écureuil que je suis. Si seulement je pouvais me transformer. Mais ma position actuelle ne me le permettait pas. Je ne pouvais pas faire grand-chose. Je finis par craquer et tenter de nouveau de remonter avant que mes petits bras ne cèdent. Et que je tombe conséquence inévitable du manque d’accroche et de la gravité combinés. Cependant la bestiole en décida autrement. Détachant mes pattes de l’écorce. Me maintenant une seconde avant de lâcher. Je l’imaginais déjà rire. Un rire sadique. Espèce de petite fée maléfique ! 

 

    Je ne pouvais rien faire à part espérer atterrir dans un buisson. Je ne pouvais pas reprendre forme humaine maintenant. Je risquais de toucher le sol avant la transformation complète. Je fermais les yeux. Des souvenirs défilaient. Je revivais cet instant. Celui où je m’étais fait rattraper par le froid de l’hiver. Ce rêve aux apparences bien réelles. Qui m’avait fait cogiter. Empêcher de dormir plusieurs nuits. La chute m’avait un peu handicapée un temps. Mais maintenant, alors que tout allait mieux. Je tombais une seconde après. Qu’allait-il m’arriver cette fois ?

 

    Un amorti. Un peu de douceur. Je reprenais doucement mon souffle. Mon cœur faillit rater un battement. Un support doux. Et blanc… Blanc ? Il n’y avait pas de neige en cette période de l’année. Soudain, le sol de porcelaine bougea. Je chutais de nouveau. Dans l’herbe cette fois. Un bruit. Un son. Un animal mécontent. Je n’avais plus le temps aux réflexions. Prise malgré moi dans l’action. Une patte de cerf s’abattant violemment. Une patte d’écureuil touchée. Plus de peur que de mal. Mais heureusement la patte ne semblait point casser simplement douloureuse. Conséquence du choc. Un beau bleu le lendemain ornera ma peau. Mais l’heure n’était pas à ces pensées-là. L’attaque continuait. Je me retenais de crier. Je tentais de me calmer. Analyser la situation. Un membre en moins mouvements ralentis. Il me fallait trouver une porte de sortie.

 

    Un terrier non loin de moi. Je sautais m’y réfugier. Espérant. Priant pour qu’aucune créature malfaisante ne s’y trouve. Que le propriétaire des lieux soit absent. Juste l’espace de cet instant. Je semblais avoir de la chance. Aucun bruit venant du fond. Cachée. Je ne bougeais plus. Je m’en voulais de m’être fait avoir par l’être de lumière sombre. Je cherchais une solution. Il ne me laissera pas partir comme cela. Je ne voulais pas fuir non plus. Une idée me vint alors. Se résigner à s’offrir au jeu du sort. Bonne ou mauvaise situation-là n’était pas la question. Allais-je rentrer en un morceau ? Seul le prince avait la réponse. Il semblait s’être éloigné. Je passais alors une tête hors du terrier.

 

    Il tournait. Il virait. Cherchant qui l’avait importuné durant sa sieste sûrement bien méritée. Jeune petit ne pouvant deviner à quel point j’étais désolée. À quel point je m’en voulais ! Déranger quelqu’un, animal ou humain, n’était pas une chose que je faisais souvent. J’hésitais. Le regardant son regard semblant énervé. Je me décidais donc d’assumer. De m’excuser. Sortant de ma cachette. Transformation devant l’animal. Passage de l’écureuil à l’humain rapidement. Tête baissée. Révérence. Main tendue. Paume vers le haut. Je m’inclinais devant le fils souverain des lieux.

 

    Alea jacta est

 

    Pile ou face. Je tentais de garder une allure neutre. Les dés étaient lancés. Une chance sur deux. Pourtant, restant honnête avec l’animal, je n’approchais pas ma main de ma poche. Je n’attrapais pas d’arme. Rien pour me défendre. Majesté suivant les livres sensibles à la politesse. J’entendais un sabot cogner le sol. Se rapprocher. Doucement. Tout doucement. Une ombre au-dessus de moi. Surtout ne pas bouger. Elle recula. Puis s’avança de nouveau. L’animal m’avait répondu d’une révérence. Ses bois me frôlant légèrement. Ne voulant le défier du regard. Je ne me maintenais pas le mien longtemps. Gardant un regard doux et un peu fuyant. Peur de déranger de nouveau. Puis soudain. La magie apparue.

 

    Un museau se posa dans ma main. Je relevais la tête. Doucement. Le prince. Les yeux fermés venaient à sa manière de me pardonner. Un sourire sur mes lèvres. Je n’y croyais. Certainement un rêve comme celui de l’autre fois. Je commençais à caresser son plumage. Puis son pelage. Le regardant. L’admirant de près. Gravant en ma mémoire chaque seconde de ce moment. Imprimant son image sur la page. Je ne saurais dire combien de temps nous restâmes ainsi. Discussion silencieuse. Pas un bruit. Aucun animal venant couper le dialogue. Aucun humain venant arrêter l’instant complice et doux. Tout semblait s’être arrêté autour de nous. Une bulle. Une rencontre surprenante. Un dialogue dans des gestes. De simples caresses. Une accolade. Sa tête par-dessus mon épaule.

 

    Ce fut lui le premier à rompre le contact. Quelques pas en arrière. Je compris rapidement. Une dernière révérence mutuelle. Je le regardais s’éloigner doucement. J’eus un peu de mal à revenir à la réalité. Je continuais de rêver. Écureuil de nouveau transformé. Je continuais de m’évader.

 

    Une forêt aux mille merveilles

    Des rencontres au hasard

    Quelques heures puis le réveil

    Le retour au travail

    Demain la réalité

    Laissez-moi encore un peu rêver

 

    En attendant, je profitais du moment. D’être encore à mi-chemin entre le rêve et la réalité. J’en profitais pour ne plus penser. Juste admirer. M’étonner. J’avais encore des choses à découvrir. Peut-être recroiserais-je un jour le prince de la forêt. Pour l’heure, l’écureuil semblait voler. Porter par l’espoir. Les pensées libérées.