Jour 26 : Sombre

    Une remarque. Elle te blesse. Elle te touche. Elle est telle une flèche qui t’arrive en plein cœur. Une flèche empoisonnée qui t’atteint en ton centre. Tu ne peux la retirer. Tu ne peux l’oublier. Il est trop tard. Elle est en toi.

 

    Son poison. Il se reprend. Il n’était qu’une goutte. Le voilà qui s’étend. Il grignote du terrain. Il s’épanche. Telle une goutte d’encre sur une feuille. Sa noirceur emplit le cœur. Il s’assombrit petit à petit. Il perd petit à petit de sa vie.

 

    Le noir. Il passe par les vaisseaux. Il fait son chemin. Il traverse les organes. Il s’attaque aux muscles. Tel un virus, il contamine son environnement. Il prend le contrôle de son hôte. La peur devient seul maître des lieux.

 

    La peur. Elle fait trembler les membres. Elle fait claquer les dents. Elle donne des frissons. Elle met la pression. Elle est en chaque parcelle de ton corps. En chacune de tes cellules. Elle est omniprésente. Elle est reine même de tes pensées.

 

    Tes pensées. Elles vagabondent. Elles ne sont plus sûres de rien. Elles sont paralysées pour certains. D’autres s’accélèrent. Plus aucun contrôle. Elles n’ont plus de limites. Elles ne limitent plus les émotions que bientôt…

 

    Les émotions. Elles sont de plus en plus fortes. Comme un torrent qui tape contre un barrage. Barrage trop fragile qui se brise. Le voilà. Il se déverse partout. Il n’a pas de limite. Il n’a pas de guide. Il évacue le trop-plein. Il fait le vide.

 

    Le vide…

 

    Relâcher le barrage…

 

    Vider le surplus. L’utiliser comme arme. Diluer la peur. Diluer le poison. Chaque larme emportant avec elle vers le sol une goutte de ces sombres pensées. Chaque parcelle qui s’échappe du corps vers la terre qui se nourrit de cette négativité.

 

    La peur recule. L’état serein revient. Jusqu’à la prochaine vague. Jusqu’aux prochaines larmes. Et ainsi de suite tel un cycle sans fin.

Jour 25 : Délicieux

    Un éclat de rire. Tu observes sa couleur. Tu la vois danser autour de lui. Tu l’observes s’échapper et s’évaporer dans le paysage maussade. Comme une goutte de couleur dans la grisaille d’une mer de gris d’une neutralité déconcertante.

 

    Un sourire. Un fin filet de lumière. Il dessine des formes dans l’air. Il grimpe vers le ciel puis se mêle aux ombres. Un éclat lumineux au centre d’une pièce sans fenêtre et aux nuages de fumée l’empêchant de briller.

 

    Un compliment. Tu sens sa chaleur. Tu le sens te réchauffer. Tu le sens aussi se refroidir tout aussi vite en quelques secondes. Comme un feu trop petit et fragile contre l’eau et la glace qui l’entourent au quotidien.

 

    Une réussite. Une fleur dans sa magnificence. Elle est belle et née avec patience. Mais tu la vois se faner plus rapidement qu’elle n’a éclot. Une fleur fragile dans un monde qui ne rappelle que les échecs et qui lui retire un à un les pétales du mérite.

 

    Un souvenir. Le délice de ce moment que l’on partage. Un goût à l’arrière-goût prononcé que l’on ne peut toujours qualifier. Un goût qui parfois s’oublie. Le temps ennemi des souvenirs qui les fait se mêler et parfois s’oublier.

 

    Un câlin. Des couleurs qui se mélangent. Une lumière qui se dégage. Une chaleur qui se propage. Une accolade qui reconstruit les fleurs fanées et les aide à briller. Une bulle de douceur comme une scène où la lumière des projecteurs met en valeur la couleur de la fleur que l’on a en nous. Un moyen de réveiller son odeur propre et enivrante. Un moyen de se sentir vivante.

Jour 24 : Étourdi

    Tu tournes. Tu vires. Tel un animal en cage, tu ne sais quoi faire, quoi dire. Tu t’auto-enchaînes. Tu te bloques consciemment. Tu fabriques ta propre prison. Tu te mets tes propres murs. Tu enchaînes ton propre cœur. Tu fais tout cela par peur.

 

    Tu as peur d’en dire trop. Tu as peur des mots qui s’enchaînent sans vraiment les contrôler. Tu as peur que certaines de tes idées puissent être mal interprétées. Tu ne sais quel mot employé. Est-ce le bon ? Dans le bon contexte ? Tu ne sais plus. Tu hésites. Tu ne dis alors plus rien…

 

    Tu as peur d’en faire trop. Tu as peur de tes actions spontanées que tu peux difficilement empêcher. Tu as peur que certaines mettent mal à l’aise. Tu ne sais quoi faire. Est-ce que cela est correct ? Est-ce que tu as le droit ? Tu te poses trop de questions. La gêne. La Peur…

 

    Toi qui dansais sur la scène de ta vie tu sens alors une chose en toi. Tu sens ce quelque chose qui se dégage d’un coup. Ce nuage qui s’extirpe de ton corps. Cette masse qui se matérialise. Elle rigole. Encore et encore. Elle rigole. Tu la regardes sans comprendre.

 

    Elle prend place sur la scène. Elle danse sur la scène. Elle prend tout l’espace de la scène. Et toi, toi, tu es enchaînée au sol. Tu as du mal à te relever. De ta bouche, aucun sol ne sort. Tu es là sans être là. Et la Peur, elle, danse. Elle s’élance. Elle t’ignore. Elle t’oublie…

 

    Tu ne peux la laisser prendre ta place. Tu ne peux la laisser gagner. Tu te lèves tant bien que mal. Tu te redresses malgré les chaines à tes poignets. Tu fais un pas. Puis un autre. Tu manques de tomber. Elle rigole, encore. Tu as le regard déterminé.

 

    La musique t’encourage à sa façon. Tu la sens raisonner en toi. Tu la ressens. Tu la vis. Tu tends alors la main à l’être de noir face à toi. D’humeur joueuse, l’individu l’attrape et la valse commence. Les chaines volant autour de vous. Le sourire s’agrandissant pour l’un et diminuant pour l’autre.

 

    Un retournement inattendu. L’humain dansant avec la peur. La guidant dans sa propre danse, ses propres pas, sa propre mélodie. Luttant pour briser ses liens. Pour être libre. Mais aussi accepter ses faiblesses et maladresses. Une danse, mais pas que…

 

    Une transformation. La peur change au fur et à mesure des notes. Elle se colore de ton aura. Elle s’éclaircit. Elle sourit. Non pour se moquer. Un sourire pour partager. Elle devient une force. Une alliée. Et même si parfois elle fait apparaître ses chaines. Sous son masque sombre, la douceur se révèle.

 

    Tes chaines, une à une s’envolent avant de disparaître. La parole te revient petit à petit. Tes pas plus légers. Ton cœur allégé. Tu souris. Tu dis merci. Tu grandis. Ta partenaire esquisse une révérence avant de reprendre sa place au fond de toi. Tu rayonnes de nouveau.

 

    Même si tu sais que les peurs sont toujours là, tu sais qu’elles ne sont pas toutes là pour te nuire. Une maladresse ne devrait pas te faire paniquer. Et si par malheur, tu en commets une. Un petit pas de danse, un changement de musique. Tu réussiras à te relever.

Jour 23 : Antique

    Tu marches parmi les ruines. Tu visites les vestiges. Un lieu ancien et délaissé. Le toit des bâtiments, emporté par le vent. Les accessoires dans les pièces disparues avec le temps. Seuls les murs porteurs se tiennent fiers et vaillants. Ils ont quelques pierres de moins, mais ils trônent toujours sur cette terre.

 

    Ils racontent leur histoire. Ils portent en eux les marques des temps passés. Ils nous laissent aujourd’hui les approcher. Eux qui ont des centaines d’années. Eux qui ont vu tant de vies défiler. Ils ne les comptent plus. Ils essayent de ne plus s’attacher. Mais comment faire ? Le passé est ancré en eux. Il est gravé en eux.

 

    En touchant une pierre, tu as comme une vision. Tu laisses l’idée de la folie passer. Tu te laisses bercer. Le lieu t’offre un morceau du roman de sa vie. Tu l’observes avec attention. Tu le ressens avec émotion. Tu n’oses pas t’appuyer. Les yeux fermés, tu te concentres. Avant de lever le regard sur la grande pièce qui prend alors vie.

 

    Un banquet. Une salle de danse. De la musique. Des festivités. Un décor bien ancré. Tu vois les tapisseries sur les murs. Tu vois certains gardes en armures. Tu souris à la vue de l’enfant qui embête le chien. Tu profites de l’instant. Mais ton œil est attiré par une personne. Tu ne peux dévier le regard. Une jeune femme en tenue de chasse. La seule qui n’avait point de robe.

 

    Tu l’observes. Tu la vois s’approcher de toi. Tendre la main à ton niveau. Te sourire. Puis avancer vers le centre de la salle. Une main dans la sienne. Ce n’était pas toi. Mais cette personne te ressemblait beaucoup. Un peu trop à ton goût. Elle se tourna et ses yeux croisèrent les tiens. Une seconde. Tu connaissais cette personne, mais d’où ?

 

    L’illusion disparue. Comme par enchantement. Te revoici dans le présent. Tu sais déjà ce que tu feras en rentrant chez toi. Un nom tournait dans ta tête. Tu es comme poussée vers ta propre histoire…

Jour 22 : Fantôme

    Lorsque tu croises une personne, tu vois une aura se dégager d’elle. Tu vois ce quelque chose que les autres ne semblent pas remarquer. Tu vois cette couleur, cette lueur s’échapper et entourer cette personne. Tu la distingues parfois très nettement et d’autres fois tu as besoin de chercher un peu plus, d’être plus attentive.

 

    Tu l’observes alors. Tu fais attention au moindre détail. Tu regardes tous ses gestes. Tu guettes les instants où l’aura se montrera. Tu changes de sujets. Tu orientes les conversations. Tu la vois grandir. Tu la vois moins timide. Elle se montre doucement. Elle s’épanouit à son rythme. Un petit truc au fond de toi se sent un peu privilégier de voir cela.

 

    L’aura danse. Elle vit au rythme des passions. Elle peut être à la fois très forte, mais aussi très faible. Et peut-être joyeuse comme mélancolique. Tu la ressens plus que tu ne la vois parfois. Tu la sens au fond de toi. Comme si la tienne tissait un contact émotionnel avec elle. Mais ce n’est pas toujours tout rose.

 

    La mélancolie. La tristesse. La déception. Tu les ressens comme des pincements de cœur. Tu n’as qu’une envie. Entourer cette aura de la tienne pour la réchauffer.

 

    La tromperie. Le mensonge. La culpabilité. Cela te met mal à l’aise. Tu en as des frissons. Tu sens quelque chose de négatif. Un mauvais pressentiment. Méfiance.

 

    L’arrogance. L’égoïsme. La vanité. Tu les esquives. Elles te rongent. Elles te grappillent. Tu ne peux rien faire. Tu cherches à te protéger. Tu recules pour te décrocher.

 

    Mais aussi, la joie. Le bonheur. Le bien-être. Un bol d’air frais qui arrive. Une sensation de chaleur. Tu le sens même dans un simple sourire. Cela te donne envie de faire de même.

 

    L’amitié. La fraternité. L’amour. Des auras qui t’englobent. Des bras qui entourent et qui bercent. Tu le ressens pleinement. Cela se dégage fortement. Comme une lueur. Une étincelle.

 

    Tu ne peux t’empêcher de ressentir ces couleurs. Tu ne peux t’empêcher d’absorber ces ondes. Tu ne peux contrôler tes réactions. On te le dit parfois : tu es comme un ange gardien donc le chat veille sur lui.

Instinct Animal

    Une nouvelle. Une annonce. La perte d’un pilier fondateur. L’effondrement. Le renferment. Je m’étais isolée. Je ne voulais plus voir personne. Dans la forêt, je dormais, seule. Au plus proche de la nature. Loin du monde. Loin de la ville. Loin des personnes qui pourraient me voir, me juger.

 

    Dans ma bulle. Dans mes livres. Seule avec ma musique, mes souvenirs. Je me sentais moi dans cette nature qui me tendait les bras. Sans les autres, je m’exprimais sans mon masque. Sans ce filtre à sentiment. Je me laissais aller. Colère, peur, tristesse. Des sentiments qui se mêlaient. Que je laissais aller. Personne n’était là pour me les reprocher. Je les laissais donc sortir, eux que j’avais enterrés sans même le remarquer au début.

 

    Assise dans mon arbre, je me sentais protégée. La nature semblait m’appeler autant qu’elle m’apaisait et m’aidait. Je ne voulais plus la quitter. Ne faire qu’un avec elle. Ne plus penser à mes problèmes. Laisser cet animal en moi ressortir. Il était peut-être l’heure, le bon moment pour commencer cette formation. Ce long cheminement vers l’instinct animal. Ce domaine qui m’attirait. Une petite voix au fond de moi me poussait à sauter le pas.

 

    J’avais relu plusieurs fois le livre que j’avais, pour être sûre des différentes étapes. Pour pouvoir rassembler les ingrédients. J’avais quitté ma forêt pour aller les chercher. J’étais maintenant décidée à me laisser guider vers cet animal en moi. Mais, en attendant de le trouver. J’avais remis mon masque. Je ne voulais pas que les personnes que je croiserais soient témoins de ma sensibilité.

 

    Grâce à ce voile, je redevenais celle que j’étais à l’école des initiés. Ou plutôt celle que je voulais bien montrer. Dans le fond, derrière, j’avais toujours été cette petite fille timide, craintive, impulsive, curieuse et sensible qui pour plaire à son père se comportait en élève modèle. Cachant sa sensibilité ne montrant juste ce que les autres voulaient bien voir.

 

    Dans une petite boutique, j’avais acheté la poudre d’étoile et la fiole en cristal, avec les économies qui me restaient. J’en avais aussi profité pour faire quelques provisions. Puis, j’avais entrepris un nouveau voyage à la recherche des deux éléments manquants.

 

    Je tentais durant mon expédition de garder mon calme. Ne pas céder à l’impatience. Même si au fond de moi j’avais hâte. Hâte de me découvrir autrement. Et en parallèle, je profitais de tous les moments que je passais à chercher, qui j’étais au fond de moi. Me posant des questions. Curieuse de ce que je pourrais découvrir au bout du voyage.

 

    Un tour dans un continent voisin. Un peu de patience. Beaucoup de recherches. De questions posées aux habitants. Alors que je pensais ne pas réussir à la trouver avant un moment. Une fleur des montagnes à mes pieds. J’avais eu de la chance de la trouver si vite, à quelques jours de l’échéance. À quelques jours de cette nouvelle pleine lune.

 

    La magnifique aux nuances roses et violines maintenant dans une boite à l’intérieur de ma poche. Je devais maintenant trouver un endroit où me retrouver. Dans une nouvelle forêt, loin des habitations je m’étais installée, après avoir recueilli le dernier ingrédient. Le soir prochain je devrai être prête.

 

    Aucun nuage dans le ciel. La lune pleine dominait, haute au milieu des étoiles. Je sortis ma boite. Dedans, les éléments étaient rangés, n’attendant que d’être utilisés. Dans la fiole, je déposais un de mes cheveux arrachés à l’instant. Je versais ensuite, une cuillère de rosé recueillit le matin même dans cet endroit si reculé que l’homme était comme un intrus en son sein.

 

    Les pétales ajoutés ainsi que la poudre d’étoile, je fermai la fiole et la déposais au pied dans l’eau d’un lac proche de moi. Je m’écartais ensuite du lieu où le vent se faisait entendre et où la nature avait tous ses droits. À quelques mètres de là je me fis un petit abri. Un petit chez moi improvisé en attendant l’étoile qui allait tout changer.

 

    Je vivais au rythme du mouvement des astres. Me réveillant avec les premières lueurs du soleil. Me levant, stèle à la main. Pointée sur le bras. Dessin lent et précis. C’était devenu une habitude. Une sorte de rituel. Un nouveau battement rapide se faisait sentir. Dès le matin. Une sensation agréable.

 

    Une même habitude en regardant le coucher du soleil. Une nouvelle connexion avec l’animal en moi. Je pouvais comme la sentir. Les jours passaient. Seule dans la forêt je restais. Méditant. Lisant. M’entrainant. La musique m’accompagnant. Dream, mon cher moyen duc pour seule compagnie lorsqu’il ne partait pas se balader. Je lui avais rendu sa liberté. Mais il continuait de venir me voir. Comme s’il voulait m’apporter son soutien. Comme s’il ne voulait pas me laisser seule.

 

    Soudain, un soir. Au moment où j’allais m’endormir. À la belle étoile dans mon lit de feuilles comme chaque jour passé dans cette forêt. Les étoiles brillaient plus ce soir-là. Beaucoup plus que les soirs d’avant. Un bon pressentiment montait en moi.

 

    Je vis un éclair déchirer la toile céleste. Je n’attendis même pas un autre signe ou un quelconque signal. J’étais déjà debout, courant vers cet endroit où plusieurs semaines auparavant j’avais déposé ma fiole. Plusieurs semaines que j’attendais chaque jour l’étoile filante répétant la rune matin et soir. Je n’avais même pas osé m’écarter de trop de ce lac de peur de ne pas pouvoir le retrouver.

 

    J’étais restée dans cet endroit isolé. Me débrouillant par moi-même. M’occupant comme je le pouvais. À la fois impatiente et stressée. Je tentais de garder mon calme chaque jour passant en espérant que le suivant serait le bon. Perdant petit à petit la notion du temps. Je ne savais même pas quel jour on était. Tout ce que je savais c’était qu’il allait changer les choses.

 

    Sous la pleine lune et la nuit d’étoile, je plongeais mes mains dans l’eau pour en sortir la fiole. Je pris un instant pour la nettoyer du mieux que je pouvais avec le T-shirt abîmé duquel j’étais vêtu. N’ayant pas beaucoup de vêtements j’avais préféré garder mes costumes propres optant pour un simple T-shirt et un jean durant mon long séjour isolé du monde. Une fois sèche je l’admirais.

 

    Rouge. Rouge sang. Telle était la couleur actuelle de la potion. Je jetais un coup d’œil aux environs. L’espace me semblait en sécurité. Tout le long de mon attente, aucune ne trace d’une quelconque menace. Je bouchonnai doucement la fiole avant de la porter à mes lèvres. Je la finis d’une traite. Plus moyen de revenir en arrière. La transformation allait s’opérer. D’un côté je redoutais et d’un autre j’étais impatiente.

 

    Il ne me restait qu’une chose à faire. Stèle sur le cœur. Je répétais pour la énième fois et sûrement la dernière, les gestes du rituel. Ceux que j’effectuais à chaque lever et coucher du soleil depuis plusieurs semaines. Une grande inspiration. Beaucoup de concentration. Des traits précis sur la peau.

 

    Une vive douleur. Partout. Anesthésiant chaque fibre de mon corps. Me coupant le souffle sur l’instant. Je me repliais sur moi-même. Cherchant à oublier cette douleur. Elle faisait partie de la transformation. Mais elle était insupportable. Elle me paralysait. Mes pensées rivées sur elle, j’en oubliais le reste. Au fond de moi, je cherchais la force de passer outre. Me focalisant sur autre chose. Mon cœur.

 

    Ce dernier s’emballait. Comme s’il voulait sortir de ma poitrine. Sa cadence s’était accélérée d’un coup. Ma respiration le suivant. Je ne cherchais plus à comprendre. Je ne me posais plus de question. Mon esprit entièrement concentré sur ces changements qui s’opéraient.

 

    Dans ma tête une image. Douce. Réconfortante. Un petit animal roux. Un petit écureuil qui semblait me regarder. Attendre que je le rejoigne. Mon attention était sur lui. Le détaillant par la pensée. Tandis que mon corps douloureux lui bougeait et changeait malgré moi.

 

    Je ne le remarquais point, mais mes vêtements fusionnaient petit à petit avec ma peau pour se changer en poil. Le pelage s’étendait à partir de mon cœur. Comme une goutte d’encre qui s’étalait sur une feuille de papier. La fourrure rousse me recouvrait rapidement.

 

    Tout à coup, deux nouveaux sens sollicités en même temps. De manière vive. Brutale. Des odeurs de partout. Des bruits tout autour. Un mal de crâne qui s’intensifiait. L’odorat plus fin. Une odeur me prenait le nez. En parallèle, dans mes oreilles les sons se mêlaient. Tout se passait vite. Trop vite. Je n’avais le temps de prendre conscience qu’un nouveau changement prenait sa place.

 

    La douleur toujours présente. Je me sentais perdre l’équilibre. Me rapprocher dangereusement du sol. La transformation s’achevait de manière brutale. Mes membres se réduisaient presque en même temps de façon instantanée. Mon corps se modifiait de plus en plus. Je n’arrivais plus à suivre les étapes. Tout était flou. Intense. Rapide. Douloureux.

 

    Puis tout doucement. Tout redevenait calme. Paisible. Comme si quelqu’un avait appuyé sur le bouton marche/arrêt. J’ouvris doucement les yeux. Allongée sur le sol, je n’avais pas vraiment la notion du temps ou des événements. Seule la douleur restait comme souvenir.

 

    Je me redressais tranquillement. Pas de mouvement brusque. Je devais apprendre à utiliser cette nouvelle forme. Je me sentais bizarrement bien. À l’aise. Libre. Ce sentiment de liberté m’envahissait petit à petit. J’en oubliais les obstacles que j’avais traversés pour arriver jusqu’ici. Je n’avais qu’une envie. Courir.

 

    Je partis donc en direction de la forêt. Ce petit corps qui était maintenant le mien se mouvait malgré moi. Je souriais. Cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie tellement bien. Aussi moi tout simplement. Plus la peine de se cacher. Je pouvais maintenant vivre. Me libérer de ce masque en me transformant. En rejoignant ma forme animale.

 

    En grimpant dans un arbre, je fis un peu plus attention à mon nouveau corps. De petites griffes aux pattes. Un pelage roux. Je pris un peu plus conscience de ce en quoi je m’étais transformée. Mais je n’arrivais pas encore à le distinguer pleinement. Sur la branche, je me tournais plusieurs fois autour comme pour essayer de me détailler. Un écureuil. Le même que celui qui m’était apparu en même temps que la douleur.

 

    Douleur. Transformation. Lac. Stèle. Je l’avais oublié. Vite. Je courus à nouveau vers la source d’eau. J’entendais les sons de la nature de manière plus claire. Je sentais la douce odeur de l’herbe mouillée se mêler à d’autres que je n’arrivais pas à distinguer.

 

    Ce corps reflétait qui j’étais à l’intérieur. Je ne le savais pas encore, mais ce petit écureuil, ce changement, cette formation allait impacter ma vie. Plus que je ne l’aurais cru. Elle m’aidera à m’ouvrir. À m’évader lorsque le masque deviendrait trop pesant. Plus tard je comprendrai que ce petit être n’était autre que le moi que je cachais. Cette partie timide, craintive, furtive et sensible qui ne devait pas être découverte, mais qui se reflète une fois seule l’animal dans les pensées.

 

    Pour l’instant, une chose dominait mon esprit. Ou plutôt deux. La curiosité et la panique. Mais une fois à côté de ma stèle, cette dernière pensée s’envola. Je ne pus m’empêcher de me rapprocher du lac à petits pas. Cherchant mon reflet au milieu des ondes produites par les mouvements de l’eau à la surface. Je penchais la tête sur le côté. Une patte l’oreille. Je me grattais. Sourire figé. J’admirai cet animal qui n’était autre que moi.

 

    Avant de faire cheminement inverse, je fis de nouveau comme sur la branche un tour sur moi-même. Remarquant cette fois-ci une marque. Mon tatouage apparaissait sur mon pelage. Le petit oiseau en origami. Celui qui ornait mes côtes. Qui symbolisait pour moi la liberté. Le voilà maintenant gravé sur le petit rouquin.

 

    Je fermai les yeux. Repensant à qui j’étais. À mon corps humain. Le visualisant dans mon esprit. Quittant à regret l’animal. Pour le retrouver plus tard. Non pas plus tard. Bientôt. La transformation s’opéra doucement. Comme si une partie de moi voulait rester dans ce corps. Mais maintenant ma formation terminée, il me fallait rejoindre les hommes. Trouver un moyen d’avancer. Je n’étais plus vraiment seule. Le masque me pesait moins. J’avais maintenant un objectif, que je m’étais trouvée durant cette période solitaire dans ma bulle, dans la nature, à l’abri du monde et des autres.

 

    Mon but était de découvrir ce qui était arrivé à mon père et pourquoi ne pas trouver un emploi. Revenir doucement à la civilisation. M’ouvrir à nouveau, moi qui me suis renfermée ces derniers mois. Sans donner de nouvelles à personne. Être peut-être moi-même. Et qui sait laisser le masque de côté et vivre tout simplement. Et je savais qu’au fond de moi, cette formation, cet animal me guiderait et m’aiderait.

 

    J’avais retrouvé mon corps humain. Je me redressais difficilement. La fatigue me gagnait. Sous le ciel étoilé, je me tenais assise. Je tapotais doucement mon corps, vérifiant que rien n’avait été oublié lors du voyage retour. Non rien. J’attrapais ma stèle et je repartais vers mon abri de fortune. Dormir ou plutôt méditer sur les événements qui venaient de se passer. La suite ne dépendait plus que de moi. J’avais hâte de retrouver l’écureuil. Le sourire n’ayant pas quitté. Cela faisait du bien de sourire. Cela faisait longtemps que je ne l’avais pas fait. Mais je me sentais bien. Détendue.

 

    Enfin moi. Sans masque. Sans artifice pour une fois. Je savais que cela serait compliqué de revenir vers la civilisation. Mais peu importe. L’animal qui portait mon tatouage me guidera. Et comme j’ai laissé ma marque sur lui. Il m’avait laissé un souvenir de son passage. Ma chevelure abordait maintenant la même couleur que son pelage.

Jour 21 : Trésor

    Il y a des jours, tu te dis que la vie ne fait pas de cadeaux. Tu te dis que le sort s’acharne. Tu te dis qu’il ne t’offre pas de repos, ou seulement des pauses trop courtes à ton goût. Tu te dis que tu n’as vraiment pas de chances. Tu te dis que tu n’as pas ta place. Tu te dis que même l’inspiration se lasse.

 

    Mais tu te dis aussi que demain, les choses iront mieux. Que le meilleur reste à venir. Tu rêves l’avenir. Tu prévois de bons moments. Tu souris de ce qui arrivera. Le flou qui t’angoisse, tu prends une gomme pour l’avancer. Tu redessines des traits plus fins et appliqués. Tu colories ta propre future réalité.

 

    On dit que tu es rêveur et optimiste. Tu es simplement poète. Tu crois en l’avenir. Tu crois que de simples mots peuvent changer les choses. Un simple compliment par exemple. Tu te souviens de ce jeune homme. De cet ami gêné à l’écoute d’une simple phrase. Ses yeux brillaient, ils étincelaient, ils scintillaient, ils étaient comme deux étoiles au milieu d’un visage. Tu ne pouvais pas rien dire. Alors tu lui as dit. Sans retenue. Avec franchise. Tu te souviens de son sourire, cela te fait toujours sourire. Un brin de couleur sur la toile des souvenirs.

 

    Tu te rappelles de ce moment. Ou plutôt ces moments de complicité avec un être cher. Une larme à l’œil rien que d’y penser. Une larme de joie et de nostalgie. Tu passes ses mots comme une musique. Tu revois les images comme un film. L’image d’un Noël en famille. L’odeur de la cheminée. Les paroles dans les airs. D’image en image. De Noël en Noël. Tu revois celui de l’année passée. Une personne manquant à la table. Mais bien présente dans les cœurs. Des voix qui s’unissent sur des chansons souvenirs. Une autre couleur qui s’ajoute aux autres.

 

    Tu te souviens des rencontres. Des retrouvailles. Et des au revoir. Tu te rappelles, de cette amie dans les bras de laquelle tu as couru. Tu te remémores les larmes versées à l’aéroport. L’instant où une amitié virtuelle devient réelle. Celui où les bras s’enlacent. Tu repenses aux câlins échangés. À ce partage. Certains plus marquants que d’autres. Le moment où les auras se rencontrent. Celui où les chemins se séparent. Des mélodies qui se créent et se transforment. De nouvelles couleurs sur la toile.

 

    Tu replonges dans ces moments de partage. De cette fois, où vous marchiez en ne suivant que les rues les moins peuplées pour ne pas avoir à faire un choix. Ou de ces jours, où chanter des chansons de l’enfance sur le chemin parmi les passants était devenu une bonne idée. De ces instants où l’enfant avait repris le pas sur l’adulte. De moment où malgré le stress du monde, tu as invité une personne à danser parmi la foule. Mais aussi de toutes ces chamailleries avec la petite sœur. De tout ce temps passé avec les animaux. Que de couleurs sur le tableau !

 

    Les couleurs dansent. Elles filent dans tous les sens. La toile de la vie se ternit parfois. Les fioles des souvenirs aident alors à la recolorer. Elles permettent de cacher ce gris. Elles sont la richesse de la vie.

Jour 19 & 20 : Fronde et Marcher

    Sans qu’il s’en rende compte, le jeune draganir commençait à changer. Ses ailes aux reflets or symbole des non-Manifestations prirent une teinte blanche avec des reflets bleu pâle. À ses pieds, le sol asséché se couvrit d’une fine couche de givre. Son cœur fusionna avec la glace. Ses yeux devinrent verts comme ceux de tous les adultes ayant eu leur magie. Arkangis prit alors une inspiration. Son corps se refroidit de nouveau. Il aimait cette sensation. Alors, quand il souffla un nuage de givre ses yeux s’écarquillèrent. Il avait réussi. Il avait eu sa Manifestation. Il avait échoué. Il n’avait pas eu LA Manifestation.

 

    Il ne se rendait pas compte sur le coup du changement. Il se sentait juste lui-même. Il aimait ce qu’il ressentait au fond de lui. Il savait qu’il venait de trouver sa place. Il venait de se trouver lui. Il savait qui il était. Il comprenait maintenant pourquoi les entraînements ne marchaient pas. Il allait contre sa nature depuis le début. Depuis tout petit, il le savait. Depuis enfant, on le dirigeait vers le feu et les flammes. Mais depuis des années, il préférait le froid de l’hiver aux volcans d’été. Il se forçait à aimer quelque chose qui n’était pas lui. Il portait un masque qu’il essayait de faire sien. Il se battait intérieurement.

 

    Le masque était tombé. Le combat était terminé. Le cœur avait gagné. La passion avait gagné. Arkangis ne pouvait plus se cacher.

 

    Il ne pouvait plus se cacher.

 

    Il ne put pas se cacher quand son oncle revint à la maison. Il ne pouvait pas faire comme si rien ne s’était passé quand il vit le dégoût et la tristesse dans ses yeux. Il ne put rien dire avant d’être chassé de la maison ses affaires en partie brûlées sur le coup des sentiments, par cet homme de sa famille. Il baissa la tête en rentrant chez ses parents. Il ne dit mot quand sa mère pleura. Il ne cilla pas quand son père le jeta à la rue. Il ne se retourna pas sous les regards de peur et d’incompréhension. Il tenta d’ignorer les regards de haine et de mépris. Il franchit les frontières, lui le meilleur élève de l’académie.

 

    Il marchait sans but. Il avançait sans savoir où aller. Il errait dans la nature. Il ne se rendait pas encore compte des événements récents. Tout c’était passé si vite. Les larmes à ses yeux n’avèrent même pas eu le temps de glisser jusqu’au sol. Tout était si flou. Les mots n’arrivèrent à ses oreilles que durant le trajet. Les voix tournèrent en boucle. Les paroles attaquaient sans cesse. Il les entendait. Il n’entendait qu’eux. Il ne voulait pas. Cela tournait. Il cherchait à s’en débarrasser.

 

    Ses pas se faisaient plus fort. Comme si le son des pas pouvait couvrir les échos. Comme si cela aiderait ces images et ces mots à repartir. Il ferma les poings. Il continuait son chemin. Il serra les poings. Il regardait devant lui. Il gela le sol qu’il touchait. Le givre commençait à le recouvrir. Ses ailes se glaçaient. Et dans sa gorge, quelque chose ne demandait qu’à sortir. Il se retient jusqu’à arriver devant un grand rocher. Il se contenait. Il ne pouvait plus.

 

    Le poing partit. La rage partit. La douleur partit. Le cri partit. Un trou dans la roche. De la glace tout autour. Des pics de glace sortaient et entraient en même temps dans la pierre. Le givre entourait la main. La neige tombait sur la scène. De fins pics de glaces tombaient sur le sol. Les larmes se changeant au contact de la peau glaciale. Arkangis s’assit ou plutôt glissa sur le sol. Il se laissa envelopper par la glace. Il se laissa bercer par le froid. Il pleurait. Il se rendait maintenant compte qu’il était seul. Différent et seul.

 

    Tandis qu’il se renfermait, une silhouette s’approcha. Elle l’observait depuis un moment. Elle était discrète. Elle ne voulait pas se faire remarquer. Mais elle sentait qu’elle devait venir. Elle sentait que c’était à elle de l’aider. Elle s’avançait à petits pas du cocon de givre qui se formait doucement. Elle hésita. Puis elle posa sa main sur l’épaule du jeune draganir. Elle avait traversé la protection de froid sans un mot. Il leva les yeux vers elle. Mais qui était-elle ?

Jour 18 : Inadaptée

    Trop petite. Pour attraper certains objets. Pour être visible par certaines personnes. Taille empêchant de faire ce que bon te semble. Taille support pour plusieurs blagues en tout genre. Mains minuscules à côté de certaines. Mais, mains bien agiles quand il s’agit de jouer avec le papier. Taille parfaite dans certaines situations. Un concentré de dynamisme et d’optimisme.

 

    Trop optimiste. Pour ne pas idéaliser les choses. Pour s’épanouir dans la réalité. Caractéristique bien ancrée en toi. Tu vois les choses du bon côté. Baloo serait fière de toi, mais pas forcément les personnes qui t’entourent. Optimisme réaliste et encourageant. Tu crois et tu espères que le meilleur arrivera demain. Tu crois en l’arc-en-ciel après la tempête. Optimisme parfois rêveur.

 

    Trop rêveur. Pour suivre une conversation. Pour comprendre les choses. Atout et défaut à la fois. Tu imagines toutes les situations rapidement. Tu privilégies souvent les positives. Tu espères le positif. Tu essayes de vivre tes rêves, mais les cauchemars hantent la vie autant que les rêves. Tu lances des couleurs pour les repousser. Tu rêves avec amour et bonté.

 

    Trop de bonté. Pour voir le mal. Pour ne pas se faire avoir. Bienveillance toujours présente. Tu donnerais ta chemise pour aider un ami qui a froid. Tu ouvres grand les bras et le cœur pour réconforter les âmes tristes. Tu absorbes et tu donnes à la fois. Transfert à l’équilibre fragile. Tu attrapes le moins pour renvoyer du plus. Bonté attachée à une certaine sensibilité.

 

    Trop sensible. Pour avancer dans la vie. Pour s’en sortir toute seule. Sensibilité te définissant. Tu es sensible à tout. Aux émotions. Aux sens. Tu vis pleinement. Tu ressens pleinement. Tout ou rien. Parfois trop pour certains. Tu pleures comme tu ris. Un sourire toujours sincère. Des larmes jamais pour un rien. Un cœur qui s’attache. Un cœur qui vibre. Sensibilité parfois fragile

 

    Trop fragile. Pour affronter les événements. Pour vivre pour soi. Fragilité ou sensibilité. La corde est fine. Ta santé fait des siennes parfois. La fatigue souvent de la partie. Mais, fragile pour autant ? Personne à protéger pour certains. Personne forte à l’intérieur pour qui s’attarde pour le voir. Fragilité comme une facette. Une partie de soi-même.

 

    Trop… Non !

 

    Juste être soi-même. Juste être, à la fois, pas très grande, optimiste, rêveuse, bienveillante, sensible, fragile, incohérente, paradoxale, vive, timide, introvertie, rigoureuse, créative, passionnée, appliqué, maladroite, impatiente, câline, innocente, enfantine, sérieuse, mature, gourmande, têtue, tête en l’air… Être tout cela à la fois. Être tout simplement unique et différente. Être soi en oubliant les masques. Tu es toi avec tout ce qui te rend encore plus toi.

Jour 17 : Ornement

    Un trait noir. Comme le début d’un dessin. La toile est blanche. Elle ne le restera pas longtemps. Un second trait rejoint le premier. Suivi d’un autre et d’un suivant. Tout cela s’enchaîne sans même avoir le temps d’y penser. Se fier à un modèle. Se dire que cela devrait ressembler. Faire confiance aux traits. Ils encrent doucement le canevas. Ils vont à leur rythme.

 

    Tu les regardes se former. Tu vois la plume danser. Tu observes la main la diriger. Tu es attentive. Tu ne veux en perdre une miette. Tu es trop curieuse. Mais quand le regard croise celui de l’artiste, il dévie. Tu ne veux pas gêner. Tu essayes de ne pas trop regarder. Mais la curiosité trop présente. Tu es attentive.

 

    Tu vis avec les traits ancrés. Une histoire se dessine. Un être se forme. Il se transforme. De simple trait en gardien. Tu ne bouges plus. Comme si le moindre souffle perturberait l’équilibre du motif. Comme si le moindre mouvement changerait tout. Tu es impatiente. Mais tu te retiens de le montrer. Un tracé important en cours d’exécution.

 

    Tu serres les dents. Tu le sens. Cela commence à arriver. La douleur. Tu essayes de l’ignorer. Tu lances un regard sur les environs. Tu détailles la pièce. Tu portes ton attention sur autre chose comme pour oublier l’espace d’un instant ce qui se passe vraiment. Tu sens l’outil. Tu ressens les choses. Tu sais à peu près ce qui se dessine en l’instant.

 

    Les derniers traits. Derniers coups d’aiguilles. Dernières gouttes d’encre. Les plus difficiles. Les plus douloureuses. Tu serres les poings. Tu t’empêches de bouger. Tu ne dis aucun mot. Tu patientes. Tu comptes les secondes. Les pics de douleurs de plus en plus réguliers. Tu sursautes un peu. Tu ne peux le contrôler. Aller c’est bientôt terminé.

 

    Te voilà avec un nouvel animal d’encre et de papier sur le tableau de ton corps. La toile est douloureuse au toucher. Elle mettra du temps à se réparer. Malgré tout, tu ne peux t’empêcher de sourire. Un nouveau petit gardien est là.